Personnalité du mois : Agnès Varda


Dans son dernier film, Les plages d'Agnès, Varda se retourne à 80 ans sur une vie de cinéaste et de plasticienne, de femme engagée et de femme tout court. « Cinéaste est un mot qui se termine en e mais cinéaste au féminin est quand même un peu différent » : fidèle à cet adage, la jeune photographe qui ne se destinait pas au cinéma en a épaté plus d'un en se lançant en 1954 dans un premier long métrage, salué par la critique, La pointe courte. A partir de là, de court-métrages en longs, enlevant les lunettes noires de Godard dans Les fiancés du Pont MacDonald (1961) ou collectionnant les pommes de terre en forme de coeur dans Les glaneurs et la glaneuses (2000), Varda a fait son petit bonhomme de chemin. « Agnès Varda (…) s'amuse en tournant ses films, afin que nous puissions nous amuser en les voyant » disait Truffaut en 1957. Mais la jeune Agnès pouvait aussi rafler très sérieusement le lion d'or 4 ans plus tard avec Cléo de 5 à 7, tomber amoureuse de Jacques Demy, monter une maison de production, faire deux enfants, militer pour l'avortement, visiter Cuba quand Castro venait juste d'arriver, partir aux Etats-Unis pour y louper mai 68 mais y vivre en pleine contestation hippie, monter des expositions (ses plages et ses cabanes étaient déjà à la fondation Cartier en 2006 et elle se baladait déguisée en patate parlante dans la biennale de Venise 2003), et bien sûr faire, encore et toujours, des films. Sur ceux qui habitent à quelques mètre de chez elle (Daguerréotypes, 1974), sur ceux qui n'ont pas d'abris (Sans Toit ni Loi en 1985), avec son fils (Kung-Fu Master, 1987), avec et sur Jacques Demy aussi, parce que la mort ça fait partie de la vie, et qu'il est mort, en 1990, dix jours après la fin du tournage de Jacquot de Nantes... D'ailleurs, si Noël ne vous a pas mis sur la paille, vous pouvez aller acheter le coffret Demy, ou peut-être même les courts-métrages d'Agnès, au 88 rue Daguerre (14ème) : la porte de Ciné-Tamaris est ouverte, et si celle de la salle de montage est entrebâillée, vous apercevrez peut-être Varda... ou Agnès.

Piera Simon

Les plages d'Agnès

de Varda


« Je joue une petite vieille rondouillarde et bavarde, qui raconte sa vie » : après la voix-off des Glaneurs, et l'apparition en joueuse de casino aux côtés de la croupière Jane Birkin dans Jane B par Agnès V, Varda se livre toute crue à son public pour fêter ses 80 ans. Une petite plongée dans l'univers Vardesque, guidé par la cinéaste elle-même, qui n'a pas peur d'affirmer qu'elle « habite le cinéma » et se construit des cabanes en pellicule.

Parce que « l'imagination élève d'un ton la réalité », comme disait Bachelard, Varda ne pose pas de bornes à son film. Raconter sa vie, d'accord, mais multiplier les façons de raconter, c'est encore mieux. Un peu comme tous ses miroirs installés sur la plage, au début du film, et qui reflètent la mer, le ciel, d'autres miroirs, parfois la caméra et surtout les techniciens, au point de se perdre dans les reflets successifs – mais qui ne montrent pas Agnès. Il faut savoir laisser l'image aux autres, il faut savoir les écouter aussi (c'est déjà comme ça que se construisait le portrait en creux de la silencieuse Mona de Sans toit ni loi) : « imaginer la perception d'un film par les autres, c'est vraiment ça notre métier ».

De plages en plages, de films en films, toute une vie de cinéaste se déroule. Même lorsqu'elle n'est pas derrière la caméra, Varda ne peut s'empêcher de faire du cinéma, en mimant face à nous un travelling arrière. Ou, si elle est au cadre, elle choisira de montrer d'abord un plan vide, en laissant à l'humain l'effort de venir s'y infiltrer : un « cadrage insistant » qui fait sentir le cinéma – et la cinéaste.

En suivant toujours le fil de sa voix-off qui raconte et commente, le film se déroule, passant du noir et blanc à la couleur, tentant de reconstituer des souvenirs d'enfance, laissant un instant la place à un autre film, d'elle ou de Demy, nous plongeant parfois dans des séquences oniriques comme lorsqu'il s'agit de remonter la Seine à la voile, ou de faire venir des trapézistes sur une plage. Parce qu'aussi, « au cinéma on se donne le moyen de réaliser ces rêveries »... Des rêves en couleur et en douceur, un peu comme les films en couleur et en chansons de Jacques Demy, dont l'absence traverse Les Plages et à qui Varda n'a de cesse de rendre hommage. Quitte à jouer avec ses films, et à transformer la Sandrine Bonnaire déguenillée de Sans toit ni loi en la fée éblouissante de Peau-d'âne. Parce qu'il y a toujours moyen de saisir un sourire, ou un instant de bonheur, même s'il est incertain, même si une famille vêtue de blanc et dansant avec grâce exclut a priori une Varda habillée de noir : il faut aller vers eux et offrir ce que l'on peut. Comme un conte en image.

Piera Simon


Plus d'infos sur ce film

Burn After Reading

de Joel Coen et écrit par Ethan Coen




L’œuvre conséquente des Frères Coen a toujours été conduite selon un art de la bifurcation qui voit les comédies poético-absurdes plus ou moins marquantes succéder à des tragi-comédies dont l’accent noir leur fait porter un certain poids. Ainsi, dans la foulée d’un No Country For Old Men flamboyant et dépressif, la fratrie Coen revient aux sources de la « screwball comédie » pour un film vite enterré par de paresseuses ficelles scénaristiques et finalement aussi léger que le souffle d’une brise sur les fondations d’un gratte ciel.

Porté par un casting poids lourd où les stars viennent cabotiner et se travestir en ringards décérébrés, Burn After Reading loue la ritournelle d’un monde absurde sur lequel chaque nigaud vient glisser et finit par être totalement dépassé. Le système Coen repose donc habituellement sur ce joyeux foutraque pour inventer des perles de noir dialogue et imaginer des rebondissements délurés. Or, ce film qui clôture la trilogie des idiots ouverte avec O’ Brother, s’avère construit telle une parenthèse farfelue qui se referme comme elle s’était ouverte, suivant l’aveu fatal d’un récit faiblard (faussement incongru) et l’emprise étouffante d’un scénario tournant à vide. Le pitch alambiqué du nouveau Coen mystifie donc le spectateur par son casting de façade et les pistes qu’il est censé ouvrir… Mais derrière tout cet apparat, on pourrait presque voir se dessiner la page blanche de Barton Fink.

Osbourne Cox (Malkovich) agent de la CIA tient à ruminer son dégoût du monde et son frais licenciement en écrivant ses mémoires alcoolisées dont tout le monde, a priori, se fout. Mais le jour où sa colérique de femme oublie le fichier les contenant dans un navrant club de fitness, les inénarrables demeurés (Brad Pitt et Frances McDormand) qui les récupèrent décident de faire chanter Osbourne Cox (nom qui, convenons-en, accapare dans la bouche de Pitt une résonance mystique). Ce beau petit monde est complété par George qui enfile ici un rôle de dragueur ridicule, passionné de sex toys, qui attire ses proies sur la toile et dont les seuls bons mots seront finalement ce désir de courir formulé à chaque reprise d’une nouvelle coucherie.

Notre scénariste a donc imaginé cette brochette d’acteurs s’observer en plissant bien les sourcils comme pour se jouer du film d’espions et de la paranoïa ambiante d’un monde sur le qui-vive. Les Coen ne parviennent pas non plus à offrir, au fil du récit, des personnages sortant un minimum de l’archétype qui leur a été collé sur le front et du centre de la cour de récré où ils se sont fatalement emprisonnés. Alors, l’espèce de mécanique volontairement absurde qui nous invite à survoler les différentes vignettes amuse à première vue mais lasse finalement à mesure que le film s’enraye dans un suspense factice et inoffensif.

Romain Genissel


Hunger

de Steve McQueen

S'agissant de sa première réalisation, on peut dire sans prétention que Steve McQueen a frappé très fort. La mise en scène de Steve McQueen est une des plus fascinantes jamais vu sur grand écran. Un sentiment profond de mal-être se dégage de cette oeuvre (à présent) majeure du cinéma indépendant britannique.

Le réalisateur se penche sur le quotidien de soixante-quinze prisonniers, tous membres de l'IRA. Dans le but d'obtenir le statut politique et face à la rigueur et l'inflexibilité de Thatcher, ils décident à l'unanimité d'entamer une grève de l'hygiène et de la faim, en refusant par exemple de porter les vêtements de prisonniers ordinaires.

Le regard intérieur du réalisateur sur l'univers carcéral où la dignité humaine n'a plus cours, où la cruauté physique infligée est permanente, où les sévices sexuels et autres préjugés religieux sont récurrents ainsi que la manière dont il filme les accès de violence extrêmes des gardiens ne peuvent laisser indifférents les spectateurs.

Se divisant en trois grandes parties comprenant le conflit avec les gardiens, puis le dialogue entre Bobby Sands et le prêtre de son enfance pour clore sur la grève de la faim qui reste le passage le plus émotionnel du film, le scénario se concentre sur la dégradation du corps humain avec comme seule alternative possible, pour faire fléchir les autorités et attirer l'opinion publique, le recours à la grève de la faim.

Le fait que Steve McQueen refuse de donner raison à qui que ce soit rend le film encore plus intéressant et évite de ce fait la simplicité ; l'IRA était loin d'être composée d'enfants de choeur. Hunger est une réalisation oppressante, absorbante et extraordinaire qui a rarement été vue à l'écran. C'est un film à ne surtout pas manquer. Une mise en scène nerveuse et cette atmosphère intense que l'on peut ressentir du début à la fin vous scotche littéralement à votre fauteuil. La capacité de Steve McQueen à maîtriser son sujet est clairement évidente malgré une certaine contemplation pour la souffrance. Il est totalement impossible de ne pas être ému par ce tour de force surtout quand on prend conscience de ce que ces prisonniers ont pu et dû endurer.

Le film a remporté la caméra d'or au Festival de Cannes 2008, une récompense amplement méritée pour une oeuvre inclassable. La minutie avec laquelle Steve Mc Queen capte le moindre souffle, les émotions à peine perceptibles, les raccords de regards parsemés çà et là d'instants empreints de poésie viennent contrebalancer la tension extrême du film et permettent au spectateur de reprendre ses esprits avant l'explosion de violence de la scène suivante. Malgré sa brutalité, le film conserve la stature d'un drame courageux. A mi-chemin entre documentaire et film politique, Hunger est un film bouleversant.

Frédéric Guilleman




Pour Elle, Fred Cavayé


Pour Elle aurait très bien s’appeler Pour Eux. Les lumières s’éteignent et le silence se fait dans la salle. A l’écran, le noir est complet et les respirations saccadés de deux hommes se font entendre, nous sommes trois jours plus tôt. Vincent Lindon est au volant d’une voiture, le visage tuméfié et sanglant, l’œil hagard. Il se retourne vers celui qui est allongé sur la banquette arrière, hors-champ. Et puis tout s’arrête, nous sommes à présent trois mois plus tôt, mais trop tard le ton est donné pour le reste du film…

Lisa, Julien et Oscar, famille unie et vie tranquille pour le décor. Jusqu’au moment où tout bascule, tout est calme, serein et doux. Pourtant, on sait qu’on s’est déplacé pour voir un thriller et on cherche, on attend le suspens haletant, on recherche celui des premières scènes. L’union chaleureuse ne durera pas et le cauchemar commence: la police débarque avec fracas pour emmener la femme de Julien (Diane Kruger, étonnante attachante et tellement naturelle). Le petit-déjeuner paisible sera leur dernier. Fred Cavayé nous démontre ici qu’un trhiller à l’américaine est enfin possible en France.

Ce néo-réalisateur pour son premier film, dont le scénario est cosigné avec Guillaume Lemans (porte un coup aux mauvaises langues : 1h36 de suspens, qui se tient, à l’ambiance crédible et sans faux-semblant, il en ressort une crédibilité indiscutable. Pour noircir le tableau, on peut critiquer le jeu du flic un peu trop zélé, mais ce sera le seul point noir du film, et minime qui plus est.
Dans les rôles principaux, y compris celui du petit garçon Lancelot Roch, pas une seule fausse note. Vincent Lindon, aux antipodes de « Mes amis, mes amours » de Loraine Lévy est brillant, Diane Kruger resplendissante en taularde, les grands-parents et l’ainé de Vincent Lindon quant à eux, dévoués à leur fils (et frère) ressortent avec une grande humanité, malgré leurs silences. Le casting d’acteurs quasi inconnus, mis à part les deux guest stars, est ficelé d’une telle manière qu’il laisse la part belle à des talents qu’on aimerait revoir.

Un mélange d’amour, de haine, de cavale et de violence tant psychologique que physique, c’est le résultat de ce film à voir…

Le Jour où la Terre s’arrêta


LE JOUR OU LA TERRE S'ARRÊTA


Réalisé par Scott Derrickson
Écrit par David Scarpa





« Klaatu Barata Nikto » : fantasticophiles de tous pays, à ce cri levez-vous ! Le classique de 1951 de Robert Wise, qui exprimait une inquiétude née en même temps que la Guerre Froide, celle d’une catastrophe nucléaire, a néanmoins essentiellement marqué par ses effets spéciaux en général et son robot « armifuge » en particulier, le sobrement nommé Gort, que cette version présente comme l’acronyme de l’équivalent anglais de Robot Tactique Génétiquement Organisé (!), et bref, c’est par cette phrase que le dit-Klaatu s’adresse au robot, pour cesser son assaut anti-violence.

Cette parenthèse de situation refermée : dans la série des Et si ?, voici : Et si la survie de la Terre et celle de l’Humanité étaient incompatibles ? Et si les êtres qui peuplent les étoiles faisaient ce triste constat et décidaient de trancher dans le vif ? Et si leur messager était Thomas Anderson, non, il s’appelle Neo… pardon, je m’égare.

D’autant que Keanu Reeves, qui doit compter parmi les acteurs américano-canadiens nés au Liban les plus sous-estimés de la planète, est ici fort loin de la Matrice et plus proche de Terminator, au niveau du jeu s’entend : sa maîtrise remarquable de ses réactions afin de contrôler les tics du quotidien, pour exprimer le mal-être d’un quidam autremondain à se trouver humanisé, dans tous les sens du terme, pourra peut-être faire réfléchir les contempteurs de Schwarzie sur le flou qui entoure la notion d’ « inexpressif ».

Mais il faut de toute façon souligner qu‘ici, c’est le scénario qui vole la vedette au jeu des acteurs (Jennifer Connelly, belle belle-mère-courage mais qui choisit un peu trop vite son camp ; Jaden Smith, dont le personnage de préado détruit par la mort de son père touche et agace tout à la fois dans le contexte du film) ; le scénario qui voit donc l’émissaire Klaatu se faire embarquer à peine arrivé pour nous avertir de l’ultimatum, puis se faire refuser de pouvoir ne serait-ce que le délivrer à l’ « Assemblée des dirigeants du monde ». Au passage, le vaisseau (servi par de magnifiques effets spéciaux, comme l’ensemble du film) atterrissant à Manhattan, les autorités américaines sont montrées sous un jour particulièrement…bourrin serait le mot adéquat le moins grossier. Disons simplement que si un Alien pacifique regardait le film de Derrickson, il ne ferait pas de la Terre en général et des USA en particulier sa villégiature d’été cosmique… A moins de succomber à nos « autres facettes », comme le fera peut-être Klaatu sous l’influence d’Ellen et de son beau-fils, du moins si l’humanité veut survivre…

Au final, les optimistes y verront une confirmation de l’absence de fatalité absolue ; les pessimistes, une confirmation également, mais celle que l’humanité a toujours besoin d’une motivation très appuyée pour prendre conscience… tout court ; et les indécis, un rappel d’une vérité simple mais parfois niée : si nous ne pouvons nous passer de la Terre, la Terre peut très bien se passer de nous.

Cyril Schalkens

Mister Lonely


MISTER LONELY


Réalisé par Harmory Korine





Moonwalk sans parachute : De retour au cinéma après 8 ans de passage à vide sous drogues et antidépresseurs, Harmony Korine est resté haut perché. Et son film, pour cause, fait battre des ailes.

Mister Lonely sabre le post-moderne en donnant une nouvelle vie aux icônes de la vie moderne : un Michaël Jackson (Diego Luna), jeune latino perdu sans collier, trouve sur sa déroute une Marilyn Monroe (Samantha Morton) prête à le prendre en laisse. Elle l'extrait de Paris pour l'emmener au royaume des sosies, sur lequel règne Charlie Chaplin (Denis Lavant), Abraham Lincoln, ou encore le Petit Chaperon Rouge. Pendant ce temps, un prêtre douteux (Werner Herzog) largue des nonnes intrépides sur les villages pauvres d'Amérique du Sud. Après des ballets célestes sans parachute, ces émissaires de Dieu s'écrasent au sol sans se casser une vertèbre : alléluïa.

Opérant un va-et-vient amoureux entre ces deux intrigues (les sosies/les nonnes), Harmony Korine dresse le portrait d'un monde candide, où la poésie se niche à chaque battement de paupière. Les hommes fuient les villes et coexistent avec des animaux, Jackson fait du moonwalk en face d'un lac et ressemble soudain à Jésus marchant sur l'eau. C'est ainsi que l'ironie du conteur émerge par instant, aiguisée sur la pierre du cynisme. Car si chacun des personnages tente de vivre son idéal, ils ne sont en réalité rien sans ces "gens ordinaires" qui assistent à leur show perpétuel. Or cette audience est terrifiante, parce qu'elle est réduite à néant. Gâteux emprisonnés en maison de retraite, pelés ramassés dans une salle de spectacle faite de bric et de broc, pécheur adultère interdit d'aller retrouver ceux qu'il aime… tous sont condamnés, de fait, à rester à terre.

De nombreux clins d'œil à l'œuvre d'Herzog émaillent le récit, à travers le rôle de ce dernier d'abord, qui singe les Médecins Volants de l'Afrique de l'Est, mais aussi par le truchement des animaux de la ferme (de la poule, dont le sex appeal fascine l'enfant "sauvage", jusqu'aux moutons qui doivent être sacrifiés sous les yeux larmoyants de la communauté de sosies). Harmony Korine semble alors ébaucher une fable humaniste à double tranchant. La rédemption est accordée à ceux qui vivent leur propre rêve, mais qui n'oublient pas qui ils sont; et pour cela, il doivent contempler leur reflet dans l'ailleurs, au cœur de l'Autre.

Nora Mandray

Kurt Cobain, about a son


KURT COBAIN, ABOUT A SON


Réalisé par A.J. Schnack





Kurt Cobain, about a son, emmène loin, au fin fond du Nord-Ouest de l’Amérique, à Washington, au plus près de la ville natale de Kurt Cobain, un homme simple et complexe à la fois, sur le fil entre mélancolie et nirvana… Le film, illuminé par les grands espaces américains, offre un voyage contemplatif et introspectif, loin du cliché mouvementé de l’icône rock des années 90.

Michael Azerrad, journaliste et auteur de la biographie Come as you are : the story of Nirvana a autorisé la diffusion de sa longue interview de 25 heures avec le chanteur pour About a son. Schnack a soigneusement choisi les extraits audio qui ponctuent le film ; la voix grave et posée, Cobain, parfois entre deux repas ou chez lui près de sa famille, se dévoile avec humour et lucidité : enfance heureuse brisée par le divorce de ses parents, adolescence solitaire et insoumise, influences musicales hétérogènes – très punk (The Vaselines, Mudhoney, Subpop Records) mais aussi très pop (The Beatles, Arlo Guthrie, The Queen), l’addiction à la drogue, son rôle de leader au sein de Nirvana, le rapport difficile au succès, la rencontre avec Courtney Love, sans oublier son élevage de tortue. La bande originale, qui inclue Half Japanese, David Bowie, ou Iggy Pop, accompagne les paysages d’Aberdeen, Olympia et Seattle – ciels ouverts, jardins d’enfants, train nocturne, visages inconnus, comme si Schnack entreprenait de filmer « le monde à travers les yeux de Kurt ». About a son fait figure de road-trip autobiographique, triste et lumineux, à l’image de Cobain. Lui, est un homme simple avant tout, déconcerté par la grandeur et l’incompréhension du monde et la violence de la société, dépassé par le succès, en perpétuel décalage avec son groupe. Comment être seul quand on est entouré ?... About a son est une bulle intimiste, retirée de toute la négativité du star-system et proche d’un Kurt Cobain, serein, accessible et humain. Pourtant, comme pour souligner sa présence fantomatique tout au long du film, l’homme se suicidera un an plus tard, en reprenant dans une lettre funeste, adressée à sa fille Frances, les paroles de Neil Young : « Il vaut mieux brûler franchement que mourir à petit feu ». Le film, est une empreinte émouvante et puissante d’un génie en mal de vivre. Pas moins.

Roseline Tran

Le Bon, la Brute et le Cinglé


"TOI AUSSI, TU VEUX LA CARTE...?! TOUS LES MÊMES..."

Le Bon, la Brute et le Cinglé
écrit et réalisé par Kim Jee-woon
avec Song Kang-ho, Lee Byung-hun et Jung Woo-sung





Doté du plus gros budget jamais accordé à un film sud-coréen, ce western oriental bourré de références, d'humour et de générosité confirme la place de Kim Jee-woon parmi les plus grands cinéastes actuels du pays. En 1930, un chasseur de primes insondable, un tueur à gages brutal et un bandit un peu loufoque ont leurs yeux rivés sur une carte menant à un trésor inestimable. Pour le trouver au coeur des déserts de Mandchourie, il faudra que l'un d'eux puisse se débarrasser des gangsters coréens, des bandits chinois, de l'armée japonaise... et de ses deux adversaires !

Le train qui fonce à toute allure sur la voie ferrée, aux confins de la Mandchourie, donne le ton de ce film où Kim Jee-woon nous emmène vers une histoire déjantée, tel un cinéaste fou qui réaliserait son rêve de gosse. Via une caméra qui survole les wagons, virevolte autour et nous laisse contempler cette flèche de métal perforant les flots de cet océan doré sur un fond musical au rythme endiablé, le spectateur se doute qu'il va avoir affaire à quelque chose de rapide, de frénétique, de grondant, de tonitruant. Un peu comme le gros plan sur le poing de l'acteur Choi Min-sik, lors de l'introduction de l'inégalable Old Boy, de Park Chan-wook , qui nous indiquait alors clairement que nous allions nous prendre comme un grand coup de poing dans la figure...

Le Bon, la Brute et le Cinglé n'est effectivement pas avare en scènes d'action mouvementées, et les hommages aux mécanismes du western sont légion. Depuis le braquage du train jusqu'au célèbre triple-gunfight final de Sergio Leone, en passant par la prise d'assaut d'une chambre d'hôtel, l'assaut des pillards et la quête d'un fabuleux trésor, Kim Jee-woon ne se prive jamais d'un emprunt supplémentaire. Mais qui connaît un tant soit peu son cinéma se doute bien que ces innombrables reprises ne font qu'enrichir un style empreint de codes réappropriés.

Comme on pouvait s'y attendre, le Bon peut être aussi rude que la Brute, qui se révèle aussi folle que le Cinglé, lequel fait preuve de bonté comme de sauvagerie. Toutefois, à l'instar de la photographie et de la lumière saturées, ces personnages hauts en couleurs composent la matière première d'une oeuvre qui postule pour le plaisir vif et immédiat. Ce ne sont ni les emprunts visibles ni même les situations prévisibles, ou encore l'excès de scènes d'action qui pourront diminuer la qualité de l'oeuvre, encore qu'il est compréhensible que cela puisse déranger. En revanche, c'est entre autres sur la fastueuse course-poursuite finale et à l'écoute de la très entraînante Dont' Let Me Be Misunderstood, de Santa Esmeralda, que l'on pourra se rendre compte à quel point Kim Jee-woon ne voulait rien d'autre qu'une aventure folle et enivrante. C'était bon, un peu brutal, et complètement cinglé...

Pierre-Louis Coudercy




Trailer coréen
(le français étant très mauvais)



Une Famille Chinoise


UN BALLET A QUATRE DANS UN OPÉRA HANTÉ PAR LA MALADIE

Une Famille Chinoise

Réalisé par Wang Xiaoshuai





Après avoir vaguement lu le synopsis je me glisse dans une petite salle de cinéma où, une fois immergé dans le noir, le film débute sur une voix de femme. Elle indique à un chauffeur de tourner à gauche puis à droite. « Gauche/ Droite », comme le titre original.

Mais où va-t-on ? Nous allons suivre l’histoire de trois couples. Dont un est divorcé et les deux autres composés de chaque côté des deux protagonistes formant le premier (Mei Zhu et Xiao Lu). Déjà que c’est légèrement compliqué vient s’introduire l’élément clé de l’histoire, la fille (Héhé) issue de l’amour déchu et atteinte d’une leucémie. Pour la sauver, il lui faut une greffe de moelle osseuse compatible provenant de sa mère ou de son père et dans le cas échéant, d’un autre enfant issu des mêmes parents. C’est donc avec ces personnages que va se dessiner un tableau d’une Chine moderne et ses problèmes actuels. En arrière plan le décor est triste et monotone. Nous comprenons vite que les paysages à couper le souffle de Tigre et dragon ne font pas parti du quotidien du chinois lambda et que tout le monde n’est pas zen et souriant comme on voudrait nous le faire croire. Ici c’est d’ailleurs tout l’inverse d’une Chine qu’on pensait belle, traditionnelle, droite, et pure des jeux Olympiques. Bref en un mot, à l’opposé de nous occidentaux modernes. Car au contraire ces personnages au fond, c’est nous tous dépeints avec un réalisme effrayant.

En effet Wang Xiaoshuai soulève des questions essentielles.

Il y a bien sûr les avatars de la règle de l’enfant unique valable depuis la fin des années 70. Question bien polémique, surtout depuis la modification apportée en 2002 de l’acceptation d’un second enfant en échange d’une amende de 5000 Yuans (environ 537 Euros) permettant aux couples reconstruits, après séparation, de voir naître leur progéniture.
Mais aussi en couches superposées la classe moyenne et leur train-train quotidien où la culture est totalement perdue. Les dettes, les problèmes d’argent, la vie colorée par quelques sourires masquant l’absence de temps à deux. Des êtres en quête de sens dans une ère de consommation. Le manque de communication lorsque tout le monde dispose d’un téléphone portable. Et la venue des « bébé-médicament »…

Sauf que… Une famille chinoise surprend et nous assomme surtout par le refrain qui va être joué tout le long du film. Celui d’une mère brandissant un drapeau d’un rouge flamboyant sur lequel est inscrit « Ma fille est mourante! » tandis que dans l’autre main se tient son arme fatale et sans faille : la responsabilité possible de la mort de Héhé éveillant la culpabilité (essence même de la civilisation d’après Sigmund Freud). « Tu ne vas pas la laisser mourir ?» Ainsi est le spectacle qui s’offre à nos yeux. La mère de Héhé va trouver le moyen d’accomplir sans scrupule ou presque, l’adultère avec comme amant son ancien mari amoureux d’une jeune femme pour qui il l’a, on suppose, quittée. Tout ça sous couvert de « c’est pour ma fille ». Fille qu’elle ne voit plus beaucoup, trop occupé par sa grande cause. Car pourquoi dans ce film Héhé n’apparaît, tel un fantôme caché, que pour susciter la peine alors qu’elle est censée être pour qui tout se passe? Pourquoi sa mère revendicatrice de lutte noble met-elle du temps à annoncer à son mari qu’elle souhaite un enfant de son ex-compagnon ? Car si l’on en croit ses dires c’est pour sauver une vie alors d’où vient ce malaise. Et surtout le mensonge, elle ne souhaite pas lui dire qu’elle va aller jusqu’à recoucher avec cet homme à défaut d’une fécondation in vitro.

Réussir à porter en elle l’enfant interdit qui va naître sous le signe du secret en ayant la consciente tranquille est un projet prometteur de plaisir sans nom. Aussi pour fêter les 100 ans de notre cher anthropologue Claude Lévi-Strauss nous rappellerons quelle est la loi universelle régissant l’espèce humaine : La prohibition de l’inceste. L’interdit attisant nos plus forts désirs… cette mère va donc orchestrer magistralement ce ballet à quatre personnages très différents et modèles d’hommes contemporains, où seront coupables tous ceux qui ne se soumettront pas à son vouloir omnipotent. Nous pourrions croire alors à un « happy end » pour cette dame chinoise mais dans « la forêt des paradoxes », comme nous l’a démontré Le Clézio lors de son discours, se trouve également l’énigme du désir toujours manquant. Ainsi, Une famille Chinoise est digne d’une tragédie grecque des temps nouveaux, un crescendo concluant sur une gamme mineure.

Sophie Lac

Largo Winch


LARGO WINCH


Réalisé par Jérome Salle
Écrit par Jérome Salle et Julien Rappeneau





N’importe quel bédéphile a déjà entendu parler de Largo Winch. Et, sans critiquer le travail de Philippe Francq, certains se sont peut-être déjà posé la question : pourquoi un jeune homme né dans les Balkans ressemble-t-il à un sosie dessiné de Brad Pitt ? A cette primordiale question existentielle, Tomer Sisley apporte un élément de réponse, et montre surtout à ses détracteurs que la coolitude n’a rien à voir avec la couleur des iris. Que ceux qui sont restés bloqués sur un certain sitcom en soient pour leurs frais : il EST Largo Winch dans tout ce que l’on en apprécie, élégant et baroudeur, fragile et charmeur, plein de rage contenue et en même temps d’assurance efficace.

A son service, une narration elle aussi efficace, entrecoupée de flashbacks qui apportent toujours un élément essentiel à la compréhension de la psychologie de Largo, voire à l’histoire elle-même (signe de qualité, le film apparaît comme très difficile à prendre « en chemin »). Et rassurons ceux qui croient cette dernière aussi prévisible que dans toute bonne adaptation de BD « pop-corn moviesque » (ce que le film n’est que de très loin), on trouve de vrais rebondissements qui, s’ils ne font pas tomber le spectateur de son siège, provoquent le froncement de sourcils caractéristique à la remémoration des événements précédents pour reconstituer le puzzle…
Le montage et la photographie sont au diapason avec le reste : il n’est pas rare que l’on sursaute et autant l’image fait parfois très case de bande dessinée, dans le bon sens du terme (ha…les hélicoptères qui s’éloignent dans le soleil couchant…), autant on trouve parfois de vraies audaces qui évoquent tant Tony Scott que Jan Kounen.

Au rayon des seconds rôles, Kristin Scott Thomas rend crédible la complexité de son personnage (beaucoup plus que sa perruque ne rend crédible sa coiffure…) même si sur la fin, son élégance naturelle rend son personnage quelque peu monolithique ; Mélanie Thierry est troublante de sensualité et de mystère, mais trop peu présente (on se surprend à espérer et saluer ses (rares) apparitions) ; mais celui qui s’en tire avec les honneurs, c’est…Mr Gilbert Melki, pour la bonne et simple raison (et c’est peut-être un détail pour vous) qu’il fait du Gilbert Melki (et pour moi ça veut dire beaucoup !) : soit un roc, un cap, une péninsule de force brute, celle qui se mesure non pas au tour de biceps mais au regard qui produit (ndla : terme inexistant dans le dictionnaire) l’effet « Gotcha », comparable à un moins prosaïque Français : « Tu as déjà perdu… », quand les yeux de Tomer Sisley, qui expriment en quelque sorte un « cynisme volontariste », diraient plus à leur interlocuteur : « Tu vas perdre. »

A conseiller définitivement aux déçus de QoS 007 pour ne pas le nommer.

Cyril Schalkens

Roman Polanski : Wanted and Desired


ROMAN POLANSKI : WANTED AND DESIRED


Documentaire réalisé par Marina Zenovich





Le titre de ce documentaire vibrant et intelligent, reprend la remarque éloquente d’un ami de Polanski : « En Amérique, Roman est recherché… En Europe, il est reconnu. » Roman Polanski, Wanted and Desired est une réelle enquête, riche de photos d’archives et d’interviews, autour du mystère fascinant qui entoure le réalisateur au talent immense, sombrement accusé de viol sur mineure.

Polanski, acteur charismatique à la voix chevrotante et réalisateur d’œuvres puissantes telles que Rosemary’s Baby, Repulsion, Le Locataire ou Le Pianiste, a séduit l’Amérique. Pourtant, l’homme, à l’air naïf et gai, à l’instar de son rôle dans Le Bal des vampires, est un survivant du malheur : d’origine polonaise, Polanski se heurte à la mort de ses parents, survit à l’Holocauste, se désintègre face à l’assassinat violent, en 1969, de l’actrice Sharon Tate, sa femme enceinte de huit mois, mais apprend à renaître. Il résistera fragilement à la médisance médiatique, comme on le voit prononcer quelques mots à la presse, le visage pâle, au bord du gouffre. Et tant d’énergie et de force dans ce petit homme fascinent. Comme maudit, Polanski est accusé de viol sur mineure en 1977. Alors que le documentaire propose un décryptage complet et approfondi de l’enquête, appuyée par les témoignages des avocats et des journalistes de l’époque, l’affaire, au fur et à mesure, se révèle être un gigantesque malentendu, un « cirque », un « jeu du chat et de la souris » orchestré par le juge J. Rittenband, un homme corrompu et incompétent, plus attiré par une pseudo-gloire et renommée, qui en viendra à atteindre les limites de la raison et de la légalité dans le procès Polanski. Le documentaire, finalement, est bien plus qu’une enquête sur les travers de la justice américaine, c’est un portrait salvateur de Polanski ; il faudrait se demander comment ce génie, bon vivant et populaire, au passé aussi tragiquement malchanceux pourrait réellement être capable de commettre un viol, un acte barbare alors que lui-même a été personnellement touché par la brutalité et la cruauté humaine. Après un an de complications judiciaires et 90 jours en prison, Polanski fuit la Californie pour s’installer à Paris. Le réalisateur y sera nommé Chevalier à l’Académie Française des Beaux Arts – avec grande classe. Trente ans plus tard, Polanski n’est jamais retourné aux Etats-Unis, pas même pour recevoir l’Oscar du Meilleur Réalisateur pour Le Pianiste en 2003, où Martin Scorsese et Jack Nicholson, son ami, l’applaudissaient. Aujourd’hui, Polanski, âgé de 75 ans, marié et père de trois enfants, souhaite clore cette grande parenthèse et réclame un non-lieu, en comptant en partie sur le documentaire, véritable plaidoyer qui a remporté le prix du Meilleur Montage au Festival de Sundance. L’affaire est à suivre, le réalisateur aussi.

Roseline Tran

Madagascar 2, Escape to Africa

MADAGASCAR 2, ESCAPE TO AFRICA

Réalisé par Eric Darnell et Tom Mcgrath
Produit par DreamWorks





Que celui qui n’a pas vu le premier volet de la série Madagascar se dise qu’il a raté un beau film d’animation, c’est un fait. En revanche, se flageller de ne pas avoir vu la seconde partie, semble être inutile. Certaines suites de primo-film sont plus que réussies. Ce n’est hélas pas le cas de celui-ci malgré de bons points…

L’histoire ? C’est la suite (logique ?) de la première aventure. Bref rappel, la petite troupe du zoo de New York s’est échouée sur Madagascar. Gloria, l’hippopotame, Melman la girafe, Alex le lion et Marty le zèbre décident de repartir pour Central Park, en avion cette fois. Sauf que l’avion, reconstruit par les chers Pingouins du premier film ne parvient pas jusqu’à New York mais s’écrase dans une réserve en Afrique et les « acteurs » retrouvent chacun leurs congénères. L’idée est originale, et pourquoi pas ? Mais l’assemblage des gags est noyé dans les rebondissements, trop nombreux.

Pourtant, Dreamworks a mis du cœur à l’ouvrage, et… la main au porte-monnaie : équipe technique de choc, doublage de Ben Stiller, David Schwimmer, Alec Baldwin pour la version américaine, déplacement de l’équipe du film en Afrique, etc.

Côté doublage français, le plaisir est tout de même là. Retrouver José Garcia (Alex), Marina Foïs (Gloria), Jean-Paul Rouve (Melman) et Anthony Kavanagh (Marty) est sans conteste un point fort du film. Le seul bémol de ce doublage à la française reste celui de Moto-moto (Doudou Masta, figure emblématique du rap français), prétendant de Gloria, qui non seulement rend son personnage glauque mais laisse également une impression d’hippopotame pervers. Un peu léger pour un film destiné, en priorité, aux enfants.

Les intrigues plurielles représentent le point faible de ce film : trop de rebondissements fatigue et lasse à la longue : les séquences sont trop courtes et s’enchainent trop rapidement. L’avion à réparer suite au crash, la source d’eau qui se tarie, l’échec d’Alex au rite de passage dans l’âge adulte et d’autres situations se superposent à outrance en une heure et demi pour y voir clair. Dommage pour l’ensemble du film.

Mais le bilan est en demi-teinte, il n’y a pas que des côté négatifs. Dans ce retour aux sources, une part belle est laissée à la vieille femme agressive, mémé devenue touriste dans la réserve africaine, qui n’hésitait pas dans le premier volet à se battre avec le lion. Ce come-back ici est plaisant. Les pingouins, singes et autres animaux rattrapent également le côté brouillon de l’enchainement des intrigues. Les bons mots et les clins d’œil à d’autres références filmiques allègent la sensation de « trop plein ».

Plus de 3 millions d’entrées, premier au box office fin décembre, le nombre d’entrées ne garantit pas une réception positive. En sortant de la salle, constituée en partie de parents accompagnant leurs enfants, les avis sont mitigés et surtout partagés : si les seconds ont adoré, les premiers en revanche sont déçus…

Claire Berthelemy




Aide toi le ciel t’aidera


COMMENT SE FAIRE TRANSPORTER PAR BESSON DANS LES BAS-FONDS DU BOX-OFFICE

Aide-toi, le ciel t’aidera

Réalisé par François Dupeyron





Il y a une théorie fondée selon laquelle le cinéma français est globalement mauvais, soumis aux diktats d’une télévision dont la débilité de ses spectateurs est le fond de commerce, et sans génie. Il y a une observation supplémentaire assez simple qui peut être faite : le cinéma gaulois est très souvent bourgeois, nombriliste et blanc (raciste ?). Alors un tout un chacun aurait pu penser que ce film arriverait à point nommé et qu’il ferait du bien à notre 7ème art hexagonal. Les critiques et le travail du distributeur étaient bons. Le film l’est, excepté le générique de fin probablement un des pires qui soient avec gros con malade qui nous pollue les oreilles après ce vrai petit chef d’œuvre.

Seulement, le public français est effectivement peu fin. La même semaine sortait le troisième volet du Transporteur avec, comme à chaque fois, Besson au portefeuille et à l’écriture et un réalisateur sans personnalité, Olivier Mégaton, qui a tout de même réussi à encore plus mal adapter Dantec que Kassovitz dans La sirène rouge. Le résultat : une daube où Robert Knepper fait ce qu’il peut. Un million d’entrées plus tard, celui de Dupeyron peine autour des 100 000 entrées et sera un petit bijou de plus qui risque de finir dans les oubliettes. La bessonière a une fois de plus fait son travail de décrédibilisation du cinéma français. En tout cas, quand vous lirez ces lignes, le film ne sera plus diffusé et cette critique qui n’en est pas une, ressemblera à une annonce nécrologique. Dommage mais patientez jusqu’au DVD.

Mathieu Thill

Louise-Michel

LOUISE-MICHEL

Écrit et réalisé par Benoît Délépine et Gustave de Kerven





On n’attendait pas vraiment nos voisins du Groland sur cette voie-là après l’échec avéré d’Avida, film pseudo arty servi très froid qui lorgnait du côté de l’humour noir des surréalistes. Secouant notre minable PAF depuis des années, le longiligne Délépine et l’ours poilu Kervern pulvérisent avec leur cinéma les discours bien pensants et les formes toujours plus mièvres d’une frange désespérante du cinéma français. De retour avec Louise-Michel, nos deux trublions reprennent le dispositif road trip d’Aaltra en incrustant leur dégoût pour ces patrons-voyous jouant avec leurs employés comme à la roulette russe …

La frappe oculaire que représente Louise-Michel tombe à pic à l’orée de 2009 où de jeunes gauchistes sont vite devenus les boucs émissaires d’un gouvernement qui veut agiter le spectre de l’ennemi intérieur. Sa résonance semble de même parfaitement synchrone avec le krach de cette année face auquel on injecte des centaines de millions qui volent au dessus de nos têtes ahuries et se glissent dans des comptes bancaires virtuels. L’employé français qui aurait reçu une lettre l’avertissant que le manque à gagner de son entreprise l’oblige à se défaire de lui, pourrait alors : 1) se serrer la ceinture et reprendre, pour les fêtes, un peu de pâté de foie 2) ne plus mettre de l’eau dans son vin et tenter de rappeler à nos minables PDG qu’ils ne l’emporteront pas au paradis et que la vengeance est un plat qui se mange froid….

Louise-Michel parce qu’il vient de cette contrée estampillée Groland opte pour la seconde voie. Très loin de l’onirique galaxie d’Hollywood, dans une région sinistrée du nord de la France, Louise (Yolande Moreau toujours plus grande et folle), analphabète tenace et dévoreuse de pigeon, découvre un jour avec ses collègues que son usine a été délocalisée en douce. Avec leurs indemnisations de pacotille, la troupe décide d’engager un tueur loufoque (Michel alias Bouli Lanners, belge chevelu, auteur du sombre et génial Eldoraldo) qui se fait déjà dessus lorsqu’il doit abattre un malheureux canin. Engagés dans une entreprise totalement déjantée, les deux camarades vont transporter leur humble débilité à la recherche de leur cible mouvante.

Le film s’aventure alors dans des régions absurdes et salées tout en proposant ce regard distancié qui détermine toute l’originalité de sa proposition esthétique. On retrouve alors ces cadrages fixes et tranchants, souvent travaillés par des encadrements et ouvrant à de brillants jeux avec le hors-champ. Mais la loufoquerie que distille Louise-Michel provient surtout d’une durée qui aujourd'hui, de plus en plus subversive, tire chaque séquence vers ces temps morts où plus rien ne semble avoir de sens. De ce sens perdu, en termes de signification et de direction, Louise et Michel en sont les pantins qui semblent l’avoir quelque peu refondé en fêtant, ivres mort, dans la villa de leur patron ce jouissif carnage.

Romain Genissel

Caos Calmo


CAOS CALMO


Réalisé par Antonello Grimaldi
Écrit par Nanni Moretti, Laura Paolucci et Francesco Piccolo





Alors que Pietro vient de sauver une inconnue de la noyade, il est confronté à la mort accidentelle de sa femme, le laissant seul avec sa fille d’une dizaine d’années. Le deuil devient le thème central de ce drame intimiste où l’on reconnaît l’univers de Nanni Moretti. Il est l’interprète principal de cette adaptation d’un best seller italien dont le soin de la réalisation est laissé à Antonello Grimaldi. L’émotion, la poésie et le talent de l’acteur nous emportent malgré quelques fausses notes.

Le thème du deuil nous fait bien sûr repenser à La chambre du fils où les regrets et la culpabilité étaient mis en avant. Mais ici la douleur du personnage se manifeste de manière sourde. Pietro décide pourtant d’effectuer des changements dans sa vie. Il trouve son travail d’homme d’affaire futile et se désintéresse totalement de la fusion dont il est actuellement question dans son entreprise. Il veut se rapprocher de sa fille et décide de passer ses journées dans le square en face de son école. C’est dans ce lieu de passage qu’il établit sa nouvelle demeure, le cadre de moments attendrissants, pleins d’humanité. Ce qui compte pour lui désormais, ce sont les petits riens de la vie et les bonheurs du quotidien. Son attitude contemplative lui permet de mieux se pencher sur soi-même et de revenir à l’essentiel. Sa voix off intervient à plusieurs reprises et l’isole du monde environnant. Il fait le bilan de sa vie, essaye de comprendre pourquoi la mort de sa femme ne l’affecte pas plus que cela, et pourquoi il n’aperçoit pas non plus de signes de tristesse sur le visage de sa fille. Une musique très présente permet également de nous faire ressentir son état intérieur qui bouillonne, souffre, très loin de l’image extérieure qu’il donne de lui-même. Comme il a décidé de rester dans ce square, c’est son entourage qui vient à lui. Que ce soit ses collègues, son frère ou son ancienne maîtresse, leurs vies artificielles dont ils lui font le récit sans se soucier de son drame personnel ne lui fait en rien regretter son nouveau choix de vie. Il se rend même compte qu’il était dans l’erreur par le passé, comme un étranger pour sa femme. Les défauts de ce drame viennent sans doute du caractère trop illustratif de quelques séquences. Par exemple, le parallèle semble être un peu trop appuyé entre la scène où il mange des spaghettis avec un inconnu comme exemple de la générosité humaine avec celle de la discussion de la fusion avec un de ses collègues trop attiré par l’appât du gain. Enfin on ne sait que conclure de la scène de sexe assez crue qui intervient vers la fin du film : rompant avec la poésie qui émanait du square, il est difficile de la considérer comme une avancée dans le travail du deuil. Le personnage incarné par Nanni Moretti restera dans ce « chaos calme ».

Dorothée Jouan

Le Plaisir de Chanter


LE PLAISIR DE CHANTER


Réalisé par Ilan Duran Cohen





Quel meilleur décor pour une histoire d’espionnage, d’amour, de naïveté, de maternité, de dépression, d’insatisfaction, de rencontre avec soi-même et avec les autres, qu’un cours de chant lyrique dans la pièce exigüe d’un appartement parisien ? Sexe, mensonge, manipulation, humour et chanson, Ilan Duran Cohen ose -et il le fait bien- un délicat mélange des genres, avec l’adresse d’un funambule toujours à la limite du déséquilibre.

Porté par une flopée de comédiens surprenant dans leur contre-emploi, ce film nous fait passer un bien agréable moment. Un riche homme d’affaire détenant des informations compromettantes est assassiné. Sa veuve (Jeanne Balibar), une naïve bourgeoise, est soupçonnée d’avoir reçu de son défunt mari les informations sur une clé USB. Cette idéaliste un peu gourde rêve quant à elle de devenir chanteuse de variété, mais prend des cours de chant lyrique, plus au goût de son mari. C’est précisément dans ce cours que vont s’infiltrer deux agents français (Marina Foïs et Laurànt Deutsch) afin d’approcher la cible. Cependant, on se rendra vite compte que le cours est entièrement peuplé d’espions venus de toute l’Europe avec une cible commune, la veuve.

L’intrigue principale –la mission des espions- devient certes vite un prétexte pour s’intéresser de plus prêt au personnage en eux-mêmes, car finalement l’inintérêt de cette mission est d’une certaine façon au service du mélange des genres et montre qu’au fond le seul vrai sujet est l’être humain et sa capacité à ne pas voir le plus court chemin vers le bonheur.

Certains rebondissements frisent l’aberration, d’autres tardent à venir pour finalement avoir lieu plus tard, à retardement. Bref, le spectateur ressent un étrange équilibre de l’implication dans l’action et de l’impuissance. Cela est surement du en grande partie au fait que pratiquement tous les plans sont filmés à hauteur d’homme, comme un plan subjectif qui nous place directement au milieu des personnages, en espion infiltré dans ces espaces exigües –rare sont les plans d’extérieurs, la séquence d’échange des otages sur le pont offre une ouverture qui trouble vraiment, les névroses internes réglées peut-on enfin s’ouvrir à l’extérieur, aux autres ?

On notera particulièrement les performances de Jeanne Balibar, celle que tout le monde connaît pour son intelligence et sa culture campe à merveille une veuve nunuche qui chante l’amour avec de grandes fleurs bleues, de Marina Foïs, qui interprète avec justesse et sobriété la trentenaire en pleine crise existentielle, et de Laurànt Deutsch, qui en toute simplicité incarne l’amoureux parfait -qu’on serait bien sûr tout autant que Marina Foïs incapable de remarquer tant il est simplement bien. Un plaisir qui donne envie d’être plus léger.

Ana Kaschcett

Réédition : Duel au soleil


DUEL AU SOLEIL


Réalisé par King Vidor
Écrit par David O. Selznick





Western tragique au souffle de grande fresque épique, descendant direct d'Autant en emporte le vent, Duel au soleil relate l'histoire de Pearl (Jennifer Jones), tiraillée entre deux frères : Lewt (Gregory Peck) et Jesse (Joseph Cotten).

Une première image rougeoyante d'une terre aride et sauvage, la voix-over de Welles, et le film est d'emblée hissé jusqu'à la légende. On voit déjà poindre l'ambition d'un Selznick, qui sept ans après avoir orchestré la chute du monde Sudiste, s'attaque cette fois-ci à celle de l'empire des grands ranchers texans face à l'avancée impitoyable du progrès : le chemin de fer. Les plans d'ensemble où déferlent les cow-boys, quoiqu'à couper le souffle, n'auront qu'à bien se tenir face à l'irruption du train. Et le propre fils du grand propriétaire terrien, Jesse, reniera ses origines en passant de l'autre côté de la barrière (la frontière en miniature, séparation entre sauvage et civilisé, entre solitude des grands espaces et la vie urbaine, il n'y a qu'à voir n'importe quel film de Ford). Le vieux sera condamner à contempler un coucher de soleil rougeoyant en regrettant la fin d'un monde et la défection d'un fils : on pense, par contraste, à la volonté de fer de Scarlett O'Hara dont la silhouette se découpait déjà sur un coucher de soleil alors que le monde où elle avait grandi s'écroulait.

Cette opposition entre progrès et attachement à des valeurs en perdition se cristallise aussi autour des personnages des deux frères. Lewt se croit au-dessus des lois et les transgresse, Jesse les étudie.

Pearl, elle, hésite entre les deux frères, et malgré la promesse faite à son père de bien se tenir, elle cédera à Lewt et à l'hérédité. C'est la même passion qui a conduit le père à devoir s'arracher des bras de sa fille pour rejoindre dans le hors-champ une corde justicière, dont nous ne voyons que l'ombre rouge et menaçante. C'est la même passion qui faisait virevolter les jupes de la mère, dans un saloon empli de monde, de débauche et de bruit, le travelling latéral suivant les jambes dénudées sur le comptoir, jusqu'au baiser illégitime et fatal, à l'origine du meurtre commis par l'époux bafoué.

Pearl ne pourra pas résister aux avances brutales de Lewt, brutales presque comme un viol, mais l'ellipse nous sauve, quoique. Ce que l'on voit surtout, c'est son regard de bête traquée, jalouse, amoureuse, vengeresse; vengeresse au point de tuer l'homme qui la tue, par amour, dans un sanglant face à face final où le montage alterné n'a jamais été si supplié d'en finir, c'est tragique parce que ni avec toi ni sans toi, mais ça entre dans la légende, comme la peau de serpent de Brando, ou le regard brillant de Magnani dans The fugitive kind (Lumett), comme Heston et J. Jones, encore chez Vidor, dans Ruby Gentry.

Piera Simon

DVD : 2 Soeurs

"DEPUIS QUE LES FILLES SONT ARRIVÉES, IL SE PASSE DES CHOSES ÉTRANGES..."
2 Soeurs : A Tale of Two Sisters

Écrit et réalisé par Kim Jee-woon
Avec Im Soo-jung, Moon Geun-young, Yeom Jeong-ah et Kim Kab-su






Film d'angoisse lorgnant plutôt du côté du mélodrame fantastique, 2 Soeurs est un conte troublant de beauté et de tristesse.. Alors que Su-mi et Su-yeon ont été ramenées dans la maison de campagne familiale par leur père, des évènements inquiétants détériorent les relations déjà tendues que les deux soeurs entretiennent avec leur belle-mère...

Le coup d'essai de Kim Jee-woon dans le domaine des fantômes avec 3, Histoires de l'Au-Delà démontrait une belle maîtrise formelle, tout en accusant un scénario tout de même trop convenu. Aussi est-ce avec son film suivant que le réalisateur a l'intention de s'affirmer sur les deux terrains, et à cet égard, 2 Soeurs reste à ce jour comme l'une des oeuvres les plus belles et les plus complexes du genre. Adapté d'un conte populaire coréen, ce film est d'autant plus paradoxal qu'il se place au-delà du registre du film de fantômes, registre duquel il semble pourtant relever. Par conséquent, toute tentative de comparaison avec l'inévitable Ring de Hideo Nakata (comme cela s'est déjà vu) serait maladroite et inappropriée.

En vérité, les apparitions spectrales ne tiennent qu'une place mineure, car tout l'intérêt du film réside dans les personnages et les rapports tissés entre eux. Interprétés par des comédiens remarquables, les protagonistes n'évoluent pas vraiment. En vérité, c'est ce que nous percevons d'eux qui change, au fur et à mesure que le récit nous distille ses secrets. 2 Soeurs n'a pas été conçu pour être vu, mais pour être vu et revu, car le tour de force de cette histoire est de faire évoluer notre regard au fur et à mesure des visions du film.

La belle photographie ne fait que renforcer la beauté glauque de la demeure familiale, dédale infernal de pièces et de couloirs ; chaque pièce contenant une peur d'enfance, et chaque couloir nous menant vers la scène suivante. Mais plus qu'une simple modélisation esthétique, la photographie de 2 Soeurs devient métaphore psychologique.

En effet, point de malédiction spectrale typique du Kaidan Eiga, le genre du "film d'histoires de fantômes". Pour quelle raison devrait-il y en avoir une, lorsque ce sont les tourments intérieurs des personnages qui deviennent leurs plus grandes hantises ? A chaque moment son propos sous-jacent et son temps d'exposition, car le film de Kim Jee-woon est travaillé dans une certaine lenteur rythmique. Sans doute cela ne sera-t-il pas du goût de tous, tout comme la forte confusion qui pourra être engendrée par la conclusion de l'histoire, et ce dès son amorce.

Seul véritable défaut, reconnu par son auteur, la complexité occasionnelle de 2 Soeurs pourra être éclaircie au prix d'un certain effort de réflexion, ce qui ne lui attribuera à terme que d'autant plus de valeur. Sur les notes du thème tragique et mélancolique composé par Lee Byung-woo, la jeune Su-mi s'éloigne de la demeure, tandis que le réalisateur nous invite à un dernier regard sur son visage où pèse le terrible poids de la solitude. Rares sont les films à avoir autant misé sur ces fins rétrospectives. L'on se demande alors où est la vie, où est l'amour, où est la vérité...

Pierre-Louis Coudercy



DVD : A Bittersweet Life


"CE RÊVE, JE NE POURRAI JAMAIS LE RÉALISER..."

A Bittersweet Life

Écrit et réalisé par Kim Jee-woon
Avec Lee Byung-hun




Décrite comme étant le premier polar noir de Corée du Sud, l'avant-dernière oeuvre de Kim Jee-woon nous raconte la vengeance de Kim Sun-woo, l'ex-bras droit d'un chef de gang. Pour avoir trahi la confiance de ce dernier, le bad guy écope d'une série de tortures. Prenant la fuite dans une explosion de violence désespérée, Sun-woo décide alors d'éradiquer tous ses anciens collègues et d'en finir avec son patron. A Bittersweet Life ou du bonheur à l'état brut.


L'une des premières choses qui marquent l'esprit du spectateur lors de la vision du film, c'est le soin accordé à l'esthétique, qu'il relève de la photographie, du cadrage ou de la composition musicale. Devrions-nous encore en être surpris de la part de Kim Jee-woon ? Que l'on caractérise cette application comme un maniérisme obsessionnel ou une réelle recherche artistique, les premières minutes pourraient synthétiser le devenir du protagoniste à l'échelle du récit.

Concrètement, le restaurant luxueux où évolue Sun-woo est en parfaite adéquation avec lui : la musique aux accents métalliques se répercute sur les parois clinquantes du Sky Lounge, décor constitué de structures géométriques parfaitement alignées, tandis que les cadrages de Kim Jee-woon découpent l'espace en une myriade de lignes de force et de points de fuite. C'est là une perfection qui verse dans l'excès, et selon un principe récurrent, tout ce qui s'avère trop parfait est destiné à être brisé.

Ainsi, le début du film nous présente le héros comme une machine à tuer entièrement dévouée à son parrain, surveillant la vie des autres sans jamais vivre la sienne. Durant cette première partie où le personnage interprété par Lee Byung-hun n'évolue qu'en fonction d'autrui, sa vie semble être des plus mécaniques. Tout cela jusqu'à ce que des éléments viennent s'y incruster délicatement, perturbant ainsi ce qui n'avait été qu'une chrysalide. A l'image du vent en tant que motif régulier du film, quelque chose se lève et émerge du plus profond de Sun-woo, depuis sa rencontre avec la jeune maîtresse du chef de gang. Quelque chose de tourmenté, et qui se répercute sur toute la photographie du film.

Toutefois, loin de Kim Jee-woon l'idée de laisser le film dériver sur une romance, encore que ce soit tout de même le cas de façon sous-jacente. Les dés étant jetés, tout retour en arrière semble impossible. Peut-être même le héros refuse-t-il d'en envisager un, car, si les scènes d'action peuvent se métamorphoser en des moments de bravoure impressionnants, elles n'en sont pas moins imprégnées de désespoir. Homme torturé derrière son apparente et fausse maîtrise de lui-même, Sun-woo se fixe une vengeance dont il peine à comprendre les tenants et aboutissants. Comment a-t-il pu en arriver là ?

Pierre-Louis Coudercy



Walk Hard, la légende de Dewey Cox


WALK HARD, LA LÉGENDE DE DEWEY COX


Réalisé par Jake Kasdan





Il n’est passé inaperçu pour personne que depuis quelques années, Hollywood exploite le genre du « biopic musical » : la biographie filmée d’un musicien et/ou artiste qui a a marqué l’histoire.
Ainsi, bien après le séminal Bird de Clint Eastwood, a déferlé sur nos écrans la vague des 8 Mile de Curtis Hanson, Ray de Taylord Hackford jusqu’au Walk the Line de James Mangold.

Ces biopics musical reposent sur la récurrence de traits et motifs qui raccordent le film à une certaine tonalité classique. Ainsi, il en va toujours dans les biopics d’une certaine propension au lyrisme mielleux, d’une immersion dans les affres de la création toujours dynamisée par ce balancement entre feux de la rampe et sphère privée. De fait, le geste de retracer l’existence du chanteur country Johnny Cash dans Walk the Line, implique un récit marqué par un manichéisme étroit dont l’effet dévoile une forme de tromperie par rapport au parcours et la personnalité de l’homme juché derrière son costume. Walk the line ne déroge pas à cette structure pesante d’un Destin Américain qui, du fait d’une soi-disant reconstitution biographique, impose cette dramaturgie permissive où le modèle réel se noie sous les flots de l’accroche émotionnelle. En dépit de l’image incarnée par l’acteur lui même, la structure reproduite à tour du bras du « biopic musical » souffre durablement de ces passages obligés où le personnage subit le fameux traumatisme d’enfance qui va ronger sa destinée et déséquilibrer ses relations sentimentales à jamais partagées entre raison et tentation. Dans le tableau pittoresque représentant l’existence de l’artiste dont on voit la vie défiler, le « biopic » dérape fatalement dans ces travers où la vie sur les routes demeure constamment synonyme de perdition et d’autodestruction avant l’appel de la rédemption.

Produit par Judd Apatow, Walk Hard constitue le pendant parodique de Walk The Line par sa manière toute comique de démonter les codes du biopic musical. Interprété par le génial John C. Reily, Walk Hard nous invite à suivre l’existence chaotique de Dewey Cox, chanteur country qui subira toutes les tentations narcotiques et se relèvera en traversant tous les courants de la musique pop. Coupable de la mort de son frère et considéré par son paternel comme l’éternel Caïn, Dewey Cox apprend le sens du dur labeur « I will walk hard » et se charge d’en faire un hit incontournable. De là un florilège de situations où l’artiste tourmenté revisite Dylan, tripe sous LSD en Inde avec les Beatles, démonte des lavabos et finit par chuter en rehab. Cette précieuse parodie qui se joue de l’image donnée de l’artiste dans les biopics, invite finalement à entendre que l’esprit rock se situe très loin de ces odyssées artistiques dont se sert Hollywood pour en vampiriser l’essence et nous les resservir en mélodrames édulcorés.

Romain Genissel

Chronique : Gainsbourg 2008


GAINSBOURG 2008






Jusqu’au 1er Mars 2009 (Cité de la Musique)

Quoi de plus classe que de passer un après-midi avec le crooner le plus branché de cette décennie ? L’artiste semble s’être installé au Musée de la Musique... Le lieu s’est métamorphosé en un club de jazz de l’ancien Paris ; atmosphère voilée, lumière tamisée, quelques spots éclairent les 24 piliers qui jonchent la pièce, vitrine-miroir qui longe le mur où des feuillets de paroles, des carnets d’écritures sont présentés. Les paroles de ses chansons lues par Alain Bashung, Vanessa Paradis, Juliette Gréco, Catherine Deneuve, Charlotte Gainsbourg… mêlés aux clips, aux interviews vidéos entre autres de Barbara (qui qualifie l’homme comme l’élégance même, « dont le regard mordant et agressif cache un certain désespoir »), aux photos en noir et blanc de Boris Vian, de Brigitte Bardot, de Marylin Monroe et aux peintures d’Edward Hopper forment un petit kaléidoscope qui joue avec les mots, la musique et l’image. La galerie fait figure de maison intime de Gainsbourg ou donne l’impression d’un journal intime qui se déplierait dans cet espace en quatre périodes… Joseph Gainsburg, d’origine russe et pianiste-peintre fait découvrir à Serge, qui naît à Paris en 1928, Frehel, Trenet, Chopin et Gershwin. Dans les années 60, après avoir abandonné une carrière de « peintre maudit », Gainsbourg écrit ses plus belles chansons comme La Javanaise en hommage au couple Vian-Gréco, Laëtitia ou La chanson de Prévert, sort son album L’Histoire de Melody Nelson influencé par les Rolling Stones et le rock-funk anglais, et provoque un tollé général auprès de la critique en chantant Je t’aime…moi non plus avec Brigitte Bardot, puis Jane Birkin (« la première chanson hard jamais écrite dans les arts mineurs »…)
Dès lors, Gainsbourg véhicule l’image d’un dandy qui transgresse les valeurs établies, qui n’hésite pas à provoquer les français trop conservateurs en chantant une version reggae de La Marseillaise, Aux armes et caetera, enregistrée à Kingston, en Jamaïque, où il tombe amoureux de la musique noire « si proche de l’Afrique, si loin du gris anglais », de Jimi Hendrix à Marley en passant par Otis Redding. Années 80, Gainsbourg devient Gainsbarre, en abordant des thèmes polémiques comme la drogue, l’inceste ou l’homosexualité…Pour la pochette de You’re under arrest, il se fait photographié par Klein, travesti à la David Bowie. Pourtant, s’il faut creuser Gainsbarre, aller au-delà de la froideur, du cynisme et de la provocation, on y retrouvera l’homme qui a écrit Je suis venu te dire que je m’en vais, un standard sincère et mélancolique de la chanson française, qui le fait rejoindre la cour des grands comme Jacques Brel et Edith Piaf, véritables influences de l’artiste, comme on peut l’écouter dans la riche médiathèque suivant l’exposition. Aujourd’hui, que reste-il de Gainsbourg ? Julien Doré, Brian Molko et autres BB Brunes multiplient les références et les reprises… On est tristement loin du mythe.

Roseline Tran

Chronique : Théâtre

THÉÂTRE


Après la comédienne Valérie Dréville et le metteur en scène Roméo Castellucci (dont l’adaptation impressionnante de la Divine Comédie de Dante est actuellement en tournée et vaut vraiment le déplacement), c’est l’auteur-metteur en scène-comédien canadien Wajdi Mouawad qui sera l’artiste associé de la saison 2009 du festival d’Avignon, événement majeur de la vie théâtrale contemporaine. Présent sur le festival depuis plusieurs années avec entre autre ses pièces Incendies et l’année dernière Seuls, il présentera cette année une nouvelle création, que l’on attend déjà.

Fin Janvier, une conférence devrait être donnée en Avignon pour présenter les projets de la saison.

Par ailleurs, vous pouvez aller applaudir actuellement Dominique Reymond (également à l’affiche du film Le Plaisir de Chanter) au théâtre, dans Feux de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, créé en Avignon en juillet 2008, où elle nous offre une performance d’acteur absolument impressionnante, d’une énergie incroyable, jamais auparavant on avait vu un comédien donné autant, au point d’être complètement vidé pour le salut final. Chapeau bas.

Ana Kaschcett

Chronique : Werner Herzog


PLUS FORT QUE L'EXTASE DE SAINTE-THÉRÈSE

La rétrospective Werner Herzog





Tombé dans des oubliettes encore plus sombres que des salles obscures, la lumiere de Werner Herzog resurgit au Centre Pompidou jusqu’au 2 mars 2009. Profitez-en.

“Je n’entends pas ce que vous dites à cause du tonnerre que vous êtes”* : cette phrase prononcée du haut d’une cascade par un des personnages de la cosmogonie herzogienne est en realite l’écho de la force du cineaste bavarois. Si sa mise en scene est souvent comparée au romantisme allemand, Herzog s’en distingue au contraire, sans peur de forcer Goethe à faire quelques loopings dans sa tombe. “Amoureux du monde”, il puise litteralement son inspiration fougueuse dans l’univers de la poésie baroque. Etriqué dans la carcasse de ses films les plus connus et les plus fous furieux (Aguirre, la colere de Dieu, Fitzcarraldo, et Nosferatu), le genie de Werner Herzog a longtemps été associé à la figure de Klaus Kinski. En réalité ce dernier n’apparaît que dans 5 films, tandis que l’oeuvre d’Herzog – qu’il nomme son “peuple” - compte plus de 50 “membres”. C’est après un échec commercial que l’auteur de l’improbable Les Nains aussi ont commencé petits (dont la particularité est que tous les acteurs sont nains) tourne le dos à la fiction pour aller chasser des rêves dans la réalité vraie. Mais rien a voir avec le cinema-vérité, auquel il est viscéralement opposé. L’oeuvre documentaire de Herzog est aussi prolifique qu’unique, au point de faire figure de proue dans le domaine. En 2005, Grizzly Man, film d’archives et d’interviews retraçant la vie de Timothy Treadwell - l’homme qui voulut vivre parmi les ours dans une réserve et finit devoré par eux - marque les coeurs et les esprits. Werner Herzog revient ainsi sur le devant de la scène. Et pourtant, parmi les films programmes à Pompidou, nombreux sont ceux à être encore inédits en France. C’est le cas de son tout dernier documentaire, Encounters At The End Of The World, dans lequel Herzog raconte le Pole Sud, le bout de glace vers lequel les rêveurs sans racines choient naturellement depuis leur propre continent.

Quand Werner était petit, il rêvait de voler. Il y est parvenu en celluloid. Embarquez pour un voyage a bord de ses films. C’est extatique.

*White Diamond (2004)

Nora Mandray

Joaquin Phoenix

Au moment où l'on apprécie pleinement le talent faramineux de Joaquin Phoenix, le jeune homme vient d'annoncer sans ironie aucune sa volonté de mettre fin à sa carrière d'acteur pour se tourner vers la musique. Joaquin Phoenix a vécu dans un cocon artistique et nomade, et grandi dans l'ombre de son frère aîné, River, comédien talentueux découvert très tôt chez Gus Van Sant. A la suite de la mort prématurée de son grand frère, Joaquin a repris le flambeau. Il s'est révélé à l'écran aux côtés de Mark Walberg dans The Yards de James Gray, en empereur fou face à Russel Crowe dans Gladiator de Ridley Scott. puis dans Signes et Le Village chez Night Shyamalan ; réalisateur avec qui il ne semble pas s'être bien entendu, mais à qui il a offert malgré tout son talent comique. Enfin, c'est en 2005 que le jeune Phoenix crève l'écran en se glissant dans la peau du chanteur country Johnny Cash, aux côtés de Reese Witherspoon dans l'admirable biopic de James Mangold Walk the line. Incarnant le guitariste à qui le noir va si bien, Phoenix se montre « performeur » en reprenant lui-même les chansons du crooner, et en donnant forces vibrantes à ce timbre profond et ciselé. Le beau Joaquin quittera deux ans plus tard son costume noir de scène pour enfiler une chemise rouge vif, à l'instant précis où il pénètre la chambre d'Eva Mendes et ouvre le bien-nommé La nuit nous appartient. Pour sa seconde collaboration avec James Gray, l'acteur imprime de sa fibre épileptique un personnage de jeune fougueux défiant l'autorité, mais bientôt rattrapé par ses origines. Il nous revient aujourd'hui avec Two lovers, engoncé dans un manteau de perdant magnifique et possédé par le vertige amoureux. Il faut alors le voir feindre la surprise sur un quai de métro face à celle qui l'obsède déjà, et s'effondrer devant sa mère lors de ses adieux, afin de saisir définitivement l'éventail de son jeu. Avec son visage aux contours anguleux, Joaquin Phoenix se range aux côtés d'acteurs de la trempe de Brando, Sean Penn, et Gallo... Enfin, la profonde noirceur de sa chevelure expose à elle seule la caractéristique majeure de cet acteur à la force obscure, qui au contact de la lumière produit de fulgurantes étincelles.

Romain Genissel


Two Lovers

de James Gray

James Gray peut bien être considéré, à l’instar de Paul Thomas Anderson (avec qui il se partage les deux plus beaux films de l’année), comme l’espoir tant attendu du cinéma américain. Avec Two Lovers, Gray a décidé de boucler les flingues de la mafia au placard et de livrer un film plus dépouillé qui a la force de mettre à nu la nature lyrique de ses noires préoccupations.
Two Lovers s’habille derrière les oripeaux de la comédie romantique pour mieux s’en extirper et la modeler à la signature tragique de Gray… Le mélodrame convoqué par le genre se joue effectivement avec en son centre la figure tourmentée de Joaquin Phoenix, Leonard Kraditor, déchirée entre une passion dévorante pour une blonde fétichisée (Gwyneth Paltrow) et un mariage de raison avec une rassurante brune (Vanessa Shaw). Les affres de l’amour s’exposent ici en terme de doutes existentiels pour ce trentenaire ténébreux en proie aux élans suicidaires et en quête de passion idéale. Visitant les intérieurs encombrés et les géographies brumeuses du quartier russe de Brighton Beach, le film s’ouvre sur la plongée suicidaire d’un homme qui cherche à s’extirper de ce milieu dont il porte le poids affectif et culturel. Leonard tourne en rond dans ce monde balisé et terne qui le retient entre les murs d’une autorité parentale cloîtrée dans ses traditions et un passé hanté par un divorce douloureux avec celle qui l’a originellement fait chuter. Fortement perturbé par son ex fiancée dont il ne parvient à se défaire de son image, le jeune homme est entré dans un tourbillon maladif qui lui vaut de subir les attentions castratrices de sa mère et les recommandations lointaines du paternel. Sevré par un traitement bipolaire, Leonard étouffe et guette le sursaut qui lui permettra de se libérer des chaînes de la geôle familiale.
Engoncé dans un manteau ridicule, la silhouette de Leonard dévoile un corps malhabile qui semble incapable d’arborer le détachement de celui qui sait adopter les attitudes convenues en société. La démarche de Joaquin Phoenix a quelque chose de fortement déréglée, de celle d’un garçon empoté et fébrile à deux doigts de rompre et de déraper. Ainsi, l’incarnation sublime de Phoenix lorsqu’il danse avec panache et maladresse dans le night club devant le regard de celle qui l’a subjugué, est en cela terriblement euphorisante. De même, le travail qu’opère Phoenix pour la voix de son personnage (en cela il doit être comparé à Marlon Brando), par ces mots balbutiés et incapables d’être liés correctement, dévoile à chaque instant une difficulté prégnante à apaiser sa confusion intérieure. Il est clair alors que c’est l’apparition fascinante devant sa porte de cette blonde à l’aise qui va l’entrainer à se révéler et à se dépasser. Le personnage de Paltrow incarne au plus haut point cette échappatoire, cette image qui va bousculer Leonard et l’entrainer dans le monde fantasmatique de la projection amoureuse. Femme urbaine et un peu barge, Paltrow produit pour Leonard cet effet irréel que l’on perçoit bien dans le filmage d’un Manhattan nocturne éclairé par les feux scintillants. Dans le même ordre d’idée, les séquences formidables dans lesquelles Phoenix épie de sa lucarne la lumière qui émane de Paltrow participent à traduire l’illusion dorée dont s’éprend l’amoureux transi. La référence explicite à Fenêtre sur Cour (savamment mêlée à Vertigo) explicite parfaitement ce mélange de manque et de fantasme que l’on cherche dans l’idéal amoureux. Le nœud du film et des subtils échanges du trio amoureux, s’affiche clairement au travers de ce ballet oculaire dans lequel est pris le dément Phoenix. Après avoir consumé l’amour avec l’attentionnée Vanessa, Leonard revient à la raison quelques instants pour être fatalement repris par le manque et sa dépendance à la figure chérie. Les rencontres filmées sur le toit de l’immeuble constituent quant à elles des respirations où l’érotisme s’infiltre graduellement entre les différents encadrements. La légère brise qui caresse les cheveux dorés de Paltrow peu avant l’instant où Leonard se livre corps et âme dans cette dévorante passion rappelle la sensualité érotique de l’ouverture de La nuit nous appartient. Emporté par des émotions démesurées, Leonard devient alors la proie de cette folie amoureuse qui l’étreint comme une dague empoisonnée. Et Gray dépose quelques indices subtils durant les moments où son ange déchu est affaibli par sa relation avec l’avocat pour laisser croire que l’amour entre les deux serait encore possible…
Mais la dimension fataliste de l’œuvre de Gray est encore à l’œuvre ici, dans cette ronde sentimentale où chacun se perd en guettant l’amour fou et en se projetant aveuglément dans un monde qui n’est pas le sien. Tous les personnages de Two lovers (mise à part peut-être la sereine Vanessa) sont constamment portés par une quête d’absolu qui à chaque fois dévoile un poignant retour à l’ordre, à une pesante désillusion. Cette impossibilité de s’extraire du fond et du milieu dont ils proviennent, fait des personnages de Gray des figures immensément tragiques qui rejoignent le cinéma de Scorsese et de Coppola. L’influence de la communauté implique toujours une pesanteur dont les fils ne peuvent s’extraire et se désolidariser. James Gray parvient alors à asseoir son talent en revisitant à chaque film une forme sublime de tragédie de l’acceptation. Il reprend à son compte ce fatalisme mythologique pour nous signifier avec toujours plus de nuances comment une âme transportée par une liberté illusoire finira vaincue par le poids retentissant de sa condition. Sa poétique élégiaque du deuil et du renoncement marque alors son cinéma d’une grandeur bouleversante et exceptionnelle.
Romain Genissel