Joaquin Phoenix

Au moment où l'on apprécie pleinement le talent faramineux de Joaquin Phoenix, le jeune homme vient d'annoncer sans ironie aucune sa volonté de mettre fin à sa carrière d'acteur pour se tourner vers la musique. Joaquin Phoenix a vécu dans un cocon artistique et nomade, et grandi dans l'ombre de son frère aîné, River, comédien talentueux découvert très tôt chez Gus Van Sant. A la suite de la mort prématurée de son grand frère, Joaquin a repris le flambeau. Il s'est révélé à l'écran aux côtés de Mark Walberg dans The Yards de James Gray, en empereur fou face à Russel Crowe dans Gladiator de Ridley Scott. puis dans Signes et Le Village chez Night Shyamalan ; réalisateur avec qui il ne semble pas s'être bien entendu, mais à qui il a offert malgré tout son talent comique. Enfin, c'est en 2005 que le jeune Phoenix crève l'écran en se glissant dans la peau du chanteur country Johnny Cash, aux côtés de Reese Witherspoon dans l'admirable biopic de James Mangold Walk the line. Incarnant le guitariste à qui le noir va si bien, Phoenix se montre « performeur » en reprenant lui-même les chansons du crooner, et en donnant forces vibrantes à ce timbre profond et ciselé. Le beau Joaquin quittera deux ans plus tard son costume noir de scène pour enfiler une chemise rouge vif, à l'instant précis où il pénètre la chambre d'Eva Mendes et ouvre le bien-nommé La nuit nous appartient. Pour sa seconde collaboration avec James Gray, l'acteur imprime de sa fibre épileptique un personnage de jeune fougueux défiant l'autorité, mais bientôt rattrapé par ses origines. Il nous revient aujourd'hui avec Two lovers, engoncé dans un manteau de perdant magnifique et possédé par le vertige amoureux. Il faut alors le voir feindre la surprise sur un quai de métro face à celle qui l'obsède déjà, et s'effondrer devant sa mère lors de ses adieux, afin de saisir définitivement l'éventail de son jeu. Avec son visage aux contours anguleux, Joaquin Phoenix se range aux côtés d'acteurs de la trempe de Brando, Sean Penn, et Gallo... Enfin, la profonde noirceur de sa chevelure expose à elle seule la caractéristique majeure de cet acteur à la force obscure, qui au contact de la lumière produit de fulgurantes étincelles.

Romain Genissel


Two Lovers

de James Gray

James Gray peut bien être considéré, à l’instar de Paul Thomas Anderson (avec qui il se partage les deux plus beaux films de l’année), comme l’espoir tant attendu du cinéma américain. Avec Two Lovers, Gray a décidé de boucler les flingues de la mafia au placard et de livrer un film plus dépouillé qui a la force de mettre à nu la nature lyrique de ses noires préoccupations.
Two Lovers s’habille derrière les oripeaux de la comédie romantique pour mieux s’en extirper et la modeler à la signature tragique de Gray… Le mélodrame convoqué par le genre se joue effectivement avec en son centre la figure tourmentée de Joaquin Phoenix, Leonard Kraditor, déchirée entre une passion dévorante pour une blonde fétichisée (Gwyneth Paltrow) et un mariage de raison avec une rassurante brune (Vanessa Shaw). Les affres de l’amour s’exposent ici en terme de doutes existentiels pour ce trentenaire ténébreux en proie aux élans suicidaires et en quête de passion idéale. Visitant les intérieurs encombrés et les géographies brumeuses du quartier russe de Brighton Beach, le film s’ouvre sur la plongée suicidaire d’un homme qui cherche à s’extirper de ce milieu dont il porte le poids affectif et culturel. Leonard tourne en rond dans ce monde balisé et terne qui le retient entre les murs d’une autorité parentale cloîtrée dans ses traditions et un passé hanté par un divorce douloureux avec celle qui l’a originellement fait chuter. Fortement perturbé par son ex fiancée dont il ne parvient à se défaire de son image, le jeune homme est entré dans un tourbillon maladif qui lui vaut de subir les attentions castratrices de sa mère et les recommandations lointaines du paternel. Sevré par un traitement bipolaire, Leonard étouffe et guette le sursaut qui lui permettra de se libérer des chaînes de la geôle familiale.
Engoncé dans un manteau ridicule, la silhouette de Leonard dévoile un corps malhabile qui semble incapable d’arborer le détachement de celui qui sait adopter les attitudes convenues en société. La démarche de Joaquin Phoenix a quelque chose de fortement déréglée, de celle d’un garçon empoté et fébrile à deux doigts de rompre et de déraper. Ainsi, l’incarnation sublime de Phoenix lorsqu’il danse avec panache et maladresse dans le night club devant le regard de celle qui l’a subjugué, est en cela terriblement euphorisante. De même, le travail qu’opère Phoenix pour la voix de son personnage (en cela il doit être comparé à Marlon Brando), par ces mots balbutiés et incapables d’être liés correctement, dévoile à chaque instant une difficulté prégnante à apaiser sa confusion intérieure. Il est clair alors que c’est l’apparition fascinante devant sa porte de cette blonde à l’aise qui va l’entrainer à se révéler et à se dépasser. Le personnage de Paltrow incarne au plus haut point cette échappatoire, cette image qui va bousculer Leonard et l’entrainer dans le monde fantasmatique de la projection amoureuse. Femme urbaine et un peu barge, Paltrow produit pour Leonard cet effet irréel que l’on perçoit bien dans le filmage d’un Manhattan nocturne éclairé par les feux scintillants. Dans le même ordre d’idée, les séquences formidables dans lesquelles Phoenix épie de sa lucarne la lumière qui émane de Paltrow participent à traduire l’illusion dorée dont s’éprend l’amoureux transi. La référence explicite à Fenêtre sur Cour (savamment mêlée à Vertigo) explicite parfaitement ce mélange de manque et de fantasme que l’on cherche dans l’idéal amoureux. Le nœud du film et des subtils échanges du trio amoureux, s’affiche clairement au travers de ce ballet oculaire dans lequel est pris le dément Phoenix. Après avoir consumé l’amour avec l’attentionnée Vanessa, Leonard revient à la raison quelques instants pour être fatalement repris par le manque et sa dépendance à la figure chérie. Les rencontres filmées sur le toit de l’immeuble constituent quant à elles des respirations où l’érotisme s’infiltre graduellement entre les différents encadrements. La légère brise qui caresse les cheveux dorés de Paltrow peu avant l’instant où Leonard se livre corps et âme dans cette dévorante passion rappelle la sensualité érotique de l’ouverture de La nuit nous appartient. Emporté par des émotions démesurées, Leonard devient alors la proie de cette folie amoureuse qui l’étreint comme une dague empoisonnée. Et Gray dépose quelques indices subtils durant les moments où son ange déchu est affaibli par sa relation avec l’avocat pour laisser croire que l’amour entre les deux serait encore possible…
Mais la dimension fataliste de l’œuvre de Gray est encore à l’œuvre ici, dans cette ronde sentimentale où chacun se perd en guettant l’amour fou et en se projetant aveuglément dans un monde qui n’est pas le sien. Tous les personnages de Two lovers (mise à part peut-être la sereine Vanessa) sont constamment portés par une quête d’absolu qui à chaque fois dévoile un poignant retour à l’ordre, à une pesante désillusion. Cette impossibilité de s’extraire du fond et du milieu dont ils proviennent, fait des personnages de Gray des figures immensément tragiques qui rejoignent le cinéma de Scorsese et de Coppola. L’influence de la communauté implique toujours une pesanteur dont les fils ne peuvent s’extraire et se désolidariser. James Gray parvient alors à asseoir son talent en revisitant à chaque film une forme sublime de tragédie de l’acceptation. Il reprend à son compte ce fatalisme mythologique pour nous signifier avec toujours plus de nuances comment une âme transportée par une liberté illusoire finira vaincue par le poids retentissant de sa condition. Sa poétique élégiaque du deuil et du renoncement marque alors son cinéma d’une grandeur bouleversante et exceptionnelle.
Romain Genissel


Les Bureaux de Dieu


LES BUREAUX DE DIEU

Écrit et réalisé par Claire Simon





Ce film donne le vertige : pas seulement parce que nous sommes montés par un ascenseur grillagé jusqu'au sommet de l'immeuble parisien abritant le planning familial, espace unique de l'action du film. Pas seulement à cause des décisions, dont l'enjeu peut faire basculer une existence, que des femmes jeunes et moins jeunes prennent dans ces « bureaux de dieu ». Pas seulement parce que la façon de considérer la sexualité, à une époque où Simone Weil est la sixième femme à entrer à l'académie française, peut laisser perplexe celles et ceux qui se sont battus pour l'avortement et la contraception, et considèrent des droits conquis de haute lutte comme entrés dans les moeurs. Pas seulement parce que le casting réunit quelques-une des plus grandes actrices françaises du moment (Nathalie Baye, Béatrice Dalle, Nicole Garcia...)

Mais parce qu'il nous mène avec délicatesse, sans voyeurisme, au plus proche de sujets très intimes : on peut rire en entendant Nedjma raconter qu'elle doit cacher ses pilules sur sa boîte aux lettres, on peut s'attendrir devant cette prostituée amoureuse tombée par trois fois enceinte du même homme. Claire Simon parvient à nous poser en spectateurs sans faire de nous des intrus : grâce à une subtile alliance entre fiction et documentaire.

La base est documentaire, issue des enregistrements patiemment récoltés par la réalisatrice dans différents plannings familiaux. Le film est une fiction, avec des acteurs ayant appris par coeur un texte ; mais l'actrice reconnue et l'apprentie actrice n'étaient pas autorisées à se rencontrer avant d'être derrière la caméra, ce qui se rapproche des conditions du réel entretien entre la conseillère et sa patiente. Fiction aussi dans le montage et le cadrage, qui forcent à faire des choix et à rythmer le film ; mais souvent la mise en scène est dans la temporalité réelle d'un dialogue filmé sans coupure, d'un seul bloc de temps, à base de panoramiques filant d'un visage à l'autre, les protagonistes n'apparaissant pas dans le même cadre puisque c'est ce qui se passe entre eux qui importe. Documentaire parce qu'ainsi, ce n'est pas le réalisateur qui croit en savoir le plus sur le personnage, mais bien l'actrice qui est à même de faire revivre celle à qui elle prête sa voix – elle parle pour une autre, mais qui aurait pu être elle. Et c'est grâce à cette distanciation que le spectateur peut tout voir sans rien perdre.

On redescend (toujours par l'ascenseur bien sûr) marqué par ce film, parce que chaque plan y est une expérience, et que chaque expérience nous est donnée à voir. Claire Simon assure non seulement la mise en scène, mais aussi, « le doigt sur la gâchette » (dixit elle-même), la tenue de la caméra : puisqu'il y a, dit-elle encore, toujours quelqu'un pour vous empêcher de tourner. Qu'on se le dise.

Piera Simon

L'Échange


L’ÉCHANGE


Réalisé par Clint Eastwood
Écrit par J. Michael Straczynski




« Je vais voir un bon film. » Quiconque a pris du plaisir à voir Million Dollar Baby, Impitoyable, Lettres d’Iwo Jima ou Mémoires de nos pères (je suis de cette catégorie !) sait qu’en allant voir un film de Clint Eastwood réalisateur, au pire on n’aura pas perdu le prix de son billet, au mieux on en ressortira avec des étoiles dans les yeux et les tripes sérieusement ébranlées. Aussi la crainte d’être déçu, en allant voir l’histoire de ce drame humain filmé par un grand dramaturge, ne m’a pas (ou très peu) effleuré.

Durant les premières minutes, c’est l’aspect film d’époque (fin des années 20) qui ressort, avec le soin apporté à la reconstitution tant sur le fond que sur la forme, paradoxalement beaucoup plus classique (et ce n’est pas un gros mot) que ses précédents films en noir et blanc. On est ainsi doucement porté jusqu’à l’élément déclencheur de l’intrigue : la disparition (où est l’enfant ? Est-il sain et sauf ?), suivi par la restitution de l’enfant par la police, mais que la mère ne reconnaît pas. Où l’histoire s’enchaîne et deux pôles apparaissent : le LAPD (la police de Los Angeles) de l’époque, corrompu et prêt à tout pour réduire au silence (voire pire) ceux qui veulent dénoncer (activement) ou démontrer (passivement) sa corruption ; et en face ces fameuses personnes, militants (John Malkovich, qui réinvente le « flegme engagé ») ou victimes.
Ou plutôt victime sans « s », car Angelina Jolie, magistrale, passe par toutes les émotions et démontre, si besoin était, qu’elle est plus qu’un pot de miel pour paparazzi et qu’elle sait aussi bien émouvoir et faire réfléchir que divertir . Sous nos yeux se déroule le double combat d’une mère, pour retrouver son fils et pour refuser celui qu’on lui impose, avec une force et une persévérance telle qu’on n’a qu’une envie c’est de paraphraser Louis XIV : « Qu’il est doux d'être aimé de vous ». Cette force intérieure est l’autre enjeu du film, car au vu de ce qu’elle endure, on est autant pris de compassion et de respect pour elle (l’actrice pour nous le faire ressentir et son personnage pour l’avoir enduré) que d’effarement devant l’attitude des responsables de police, dont la certitude de leur bon droit et de leur toute-puissance confine à la candeur.
Au final, un vibrant plaidoyer contre ce que chacun pense ne pas pouvoir exister et qui malheureusement existe (à plusieurs niveaux, et on ne peut en dire plus sans faire de spoiler ) doublé d’une formidable leçon de vie qui, je me répète, vous prend aux tripes et tirerait des larmes à un chêne séculaire (de fait, l’ensemble de la salle a consommé beaucoup de mouchoirs à la fin de la séance et je confesse y avoir joué ma partie…). J’étais venu voir un bon film et grâce à vous, Mr Eastwood, j’ai vécu un grand moment de cinéma.

Cyril Schalkens

Max Payne


MAX PAYNE

Réalisé par John Moore
Écrit par Beau Thorne




Bon éclairons de suite le débat (on verra qu’on en a besoin) : bien qu’il soit adapté d’un jeu vidéo, il n’est pas nécessaire d’être un gamer patenté pour juger de la valeur du film de John Moore. En fait, c’est plutôt du goût du spectateur pour le film noir dont il est question, noir dans tous les sens du terme (on doit pouvoir compter sur les doigts d’une main les minutes de soleil présentes dans le film).

Noir dehors et noir dedans, car Mark Wahlberg joue un homme si dévasté que l’on est pas très sûr de vouloir explorer les tréfonds de son âme…Noir comme l’endroit où il travaille, département des affaires classées où l’ambiance et l’humeur (noire !) de ses membres sont à cent lieues de Cold Case…Noir comme les pistes successives où l’entraîne le seul but, désormais, de sa vie : découvrir le ou les assassins de sa femme et de son enfant…Noir, enfin, comme les ailes de ces étranges créatures qui semblent jalonner le parcours du (anti-) héros à mesure qu’il progresse.
Attention néanmoins à ne pas se méprendre : on ne tient pas là un personnage de Raymond Chandler version post-moderne. Mais plutôt un mix entre les trois héros principaux de Sin City : les tourments de Hartigan, le look de Dwight et le côté « foncer seul contre tous » de Marv (mais pas les biceps). Le style lui-même présente quelques discordances avec les canons du genre : effets spéciaux (réussis) qui évoquent Constantine et point de vue subjectif des balles qui rappellent Wanted, héroïnes qui sont plus proches de la punkette urbaine que de la « femme au porte-cigarette » classique, ennemi rappelant plus le méchant de jeux vidéo (de fait) que l’homme au costume à 500 $.
Car c’est avant tout un film hybride, dont l'esthétique l'est aussii : les amateurs de « gun-movies » (ou de son pendant vidéoludique, le shoot’em up) le trouveront inhabituellement crépusculaire et angoissant (gare au sursaut quand paraît la Walkyrie !) et ceux qui adorent précisément le côté obscur de la Force pourront trouver que cela défourraille un peu trop.
En conséquence, et c’est peut-être le seul défaut majeur du film, c’est que dans une telle entreprise de synthèse de genres, ou bien on produit un chef-d’œuvre qui englobe les genres, ou bien on ne fait que tous les effleurer sans contenter aucune des différentes fractions des puristes (si ardus à contenter par ailleurs).
Au final, une bonne synthèse qui n’approfondit aucun de ses objets, mais néanmoins un bon polar, rare par sa condition de film à suspense parfaitement anxiogène tout en comportant des fusillades dignes de ce nom.
A absolument déconseiller aux mélanophobes (= peur du noir).

Cyril Schalkens

Vilaine


VILAINE


De Jean-Patrick Benes et Allan Mauduit





Vous avez gagné une place de cinéma et vous avez déjà vu les films qui vous faisaient envie ? Vous avez une heure et quelques à perdre et il fait froid dehors ? Alors n'hésitez pas, allez voir Vilaine, la dernière comédie de Jean-Patrick Benes et Allan Mauduit...

L'histoire pourtant aurait pu être efficace : Marilou Berry campe Mélanie, une jeune moche en quête du prince charmant qui se fait exploiter par ses proches. Sa mère, Chantal Lauby, seule véritable plaisir de ce film, la prend pour femme de ménage, son patron, Pierre-François Martin-Laval, l'a engagée comme serveuse, mais c'est à la fois la pompiste, la serveuse et la secrétaire, etc. Sa cousine (Frédéric Bel de « la Minute Blonde » sur Canal+) et ses deux pseudo-amies lui font croire qu'un homme est amoureux d'elle. Bref la pauvre moche est souffre-douleur de ce beau monde qui loge dans un village de beauf.
Sauf qu'elle finit par tout découvrir et décide de se venger en devenant la plus garce des garces.
Tourné en huit-clos dans ce village campagnard, restoroute compris, on aurait pu croire à une antithèse d'Amélie Poulain si les acteurs n'avaient pas été si mauvais. Sur-joués, exagérés, les rôles frisent le ridicule, une voix-off agaçante et grinçante intervient de façon grotesque et totalement inappropriée, les acteurs passent leurs temps à hurler. On ne sait combien de pastilles contre l'extinction de voix et les maux de gorge ont été acheté, mais certainement un sacré stock !
Certaines scènes néanmoins permettent d'esquisser un sourire ou un rire franc selon si l'on est bon public (ou pas), mais finalement, Mélanie en personnage principal devient la tache sur la nappe propre ou la tartine coincée dans le grill-pain. On en rit cinq minutes puis ça finit par lasser, voire agacer fortement.
Quelques moments de grand n'importe quoi, notamment quand elle adopte un chat pour le mettre dans sa poubelle de cuisine ou quand une de ses « copines » déménage son musée d'animaux en porcelaine dans un hangar pour les mettre à l'abri (ils seront piétinés par un éléphant échappé de son enclos...).
Une heure trente de film plus tard et certains moments drôles, le « ouf » de soulagement est de mise.
Qu'est ce que c'est que ce ramassis de gags incohérents?
Les deux réalisateurs, dont c'est le deuxième film, voulaient faire un clin d'œil à Jeunet et dans un tout autre registre aux Frères Farrelly à qui l'on doit Fous d'Irène. Or le style de Mary à tout prix à la française ne passe pas et est un raté.
Espérons que s'ils décident de réaliser un autre film en duo, celui-ci sera autre chose qu'une pièce burlesque étant à l’origine un conte moderne. Et que la distribution de Vilaine ne collera pas trop à la peau des acteurs pour la suite de leur carrière...
Bref, à fuir.

Claire Berthelemy

The Duchess


THE DUCHESS


Écrit et réalisé par Saul Dibb





Le premier film de Dibb retrace la vie tragique de Georgiana, la Duchesse de Devonshire, ancêtre de Lady Di. Georgiana serait plutôt la petite sœur anglaise de Marie-Antoinette : même jeunesse, même fragilité dans la force, même liberté emprisonnée, même amour de la maternité. Campée et illuminée par une Keira Knightley fébrile et émouvante, The Duchess est une petite tragédie British.

« Quel bonheur d’être aussi libre » murmure le Duc de Devonshire (Ralph Fiennes) le regard bleu gris dirigé vers ses trois filles. Triste ironie. Le Duc apparaît comme quelqu’un de froid, d’austère, d’agressif, qui n’hésite pas à tromper et violer Georgiana, au nom des conventions sociales. Misogyne, jaloux, il souffre toutefois d’une image qu’il « abhorre ». Sous une froideur et une cruauté apparentes, se cache un homme sensible qui n’arrive pas à exprimer ses sentiments. Georgiana (Keira Knightley), elle, fuit le silence de son mari, l’incompréhension de sa mère, la pression de son mariage en se rendant aux salons mondains et politiques. C’est là qu’elle vit la liberté qu’elle n’a pas, à coups de verre de vins, de pas de danse, de cris et de rires. Georgiana éclaire l’écran par sa grâce et son air espiègle, c’est un personnage qui séduit son monde : les politiques, le peuple et Charles Grey (Dominic Cooper), politicien à la fois naïf et ambitieux. The duchess est une peinture fidèle des souffrances du 18ème siècle : soumission de la femme, prédominance du mari, infidélités, prédominance et mal du paraître, liberté restreinte. Tout au long du film, Georgiana est tiraillée entre deux mondes : affranchissement et servitude, emprisonnement et autonomie. Keira Knitghley, mélange de force et de fragilité, sauve les meubles d’un film peut-être trop académique – décors et costumes qui frôlent le kitsch, lumière sans éclat, personnages secondaires dénués de charme, violons trop appuyés, chute décevante, mise en scène plate qui manque cruellement de l’esthétisme vivant de Sofia Coppola (Marie-Antoinette) ou de l’ingéniosité de Stephen Frears (Les liaisons dangereuses). The Duchess est un film limité mais qui brille par le talent de Keira Knitghley – la scène de confrontation avec le Duc est jubilatoire, pourtant la lutte de Georgiana reste vaine. Dommage.

Roseline Tran

Musée haut, musée bas


MUSÉE HAUT, MUSÉE BAS


Écrit et réalisé par Jean-Michel Ribes




Un peu de légèreté pour un moment de détente ? Jean-Michel Ribes, directeur du théâtre du Rond-Point, adapte sa pièce Musée haut, musée bas au cinéma avec un casting pharaonique. Les saynètes burlesques s’enchaînent, inégales, pendant une heure trente pas désagréable mais sans transcender pour autant.

On l’avait compris, le film se passe au musée, havre de paix et de perfection aseptisée. A l’extérieur, la Nature: les crapauds, les cafards, la végétation, le déluge. Cependant, le musée ne saurait exister sans les visiteurs, créatures – s’il en est – de la Nature. Foulant les escaliers et les étages sans fins du musée, chacun arrive avec sa propre histoire, ses problèmes, ses désirs, ses attentes. Sous la houlette du conservateur (Michel Blanc), obsédé par l’élimination de toute trace de Nature (obsession bien vaine étant lui-même un élément des plus « naturels »), tout ce petit monde s’agite – et se pavane ? – pour faire apercevoir qui il est. Dans ces conditions, à travers leurs parfois courtes apparitions, difficile de les rendre tous intéressants. Malheureusement, si certains attisent notre curiosité, d’autres sont d’un caricatural quelque peu exaspérant…

Certains passages, vraiment drôles, questionnent particulièrement l’art contemporain. Tout est-il de l’art à partir du moment qu’un être humain l’a pensé et appliqué ? L’image de l’orgueil de l’artiste qui va contre les lois de la nature, comme celui qui étrangle sa mère pour l’exposer, évitent avec justesse le ridicule et soulignent avec décalage le côté parfois parfaitement risible de la recherche artistique sur-intellectualiste. On aimerait voir plus longtemps Yolande Moreau en spécialiste de l’art africain qui découvre un clandestin dans ses paquets exportés, Fabrice Lucchini en gardien de musée dont la vie est bouleversé par les expositions du musée, ou encore le génial Dominique Pinon, qui dans les sous-sols du musée manipule avec ses collègues les précieuses œuvres d’art.

Mais on passe rapidement à d’autres sujets, plus traînants et caricaturaux. J’aimerais particulièrement souligner qu’il existe des grands musées importants en « province » et que les « provinciaux » ne s’habillent pas forcément comme des ploucs en affichant des airs hébétés… . L’obsession du conservateur devient assez vite insupportable elle aussi. C’est d’ailleurs la (seule) ligne qui fait dérouler l’histoire en s’intensifiant jusqu’à outrance. La Nature finit par envahir complètement le musée et l’emporter dans un déluge apocalyptique – réalité ? Cauchemar du conservateur ? On peut y percevoir aussi une petite pique adressée aux écologistes abusifs. A noter aussi les petites apparitions de Jean-Michel Ribes, sortes de signatures à la Hitchcock, plutôt sympathiques.

On termine tout de même sur un assez bon final, bien qu’à vouloir s’écarter trop de l’intellectualisme pour le populaire, Ribes laisse tomber plusieurs bonnes idées pour leur préférer l’anecdotique – certes drôles, mais qui ne laisse pas un souvenir impérissable. Un sentiment partagé donc au milieu de toutes ces virevoltes et ce tourbillon de couleurs. Alors « beaucoup d’agitation pour rien » ? Peut-être, mais l’agitation n’est pas toujours désagréable.


Ana Kaschcett

Stella


STELLA


Réalisé par Sylvie Verheyde





Le troisième long métrage de Sylvie Verheyde met en confrontation deux mondes différents, qui ont en commun une gamine grandissant trop vite. Après Un frère et Princesses avec Emma De Caunes et Jean-Hugues Anglade, la réalisatrice s’essaie au film autobiographique, mal estampillé comédie dramatique et réunit des acteurs connus ou pas. Le casting est en effet bien éclectique : Léora Barbara en Stella, Karole Boucher, sa mère, Benjamin Biolay son père et Guillaume Depardieu son meilleur ami, une des dernières apparitions.

1977, Stella entre en sixième dans un grand lycée parisien qui contraste avec son quotidien du café d’ouvriers, toujours plein, où elle vit. Elle grandit entre ceux qui dépensent leur paye en demi de bière et parties de cartes, et l’univers bien différent du lycée bourgeois qu’elle fréquente. Avec son lot de « garces » qui ne lui rendent pas le vie facile.

Un an pour la suivre, une heure et demi pour la regarder évoluer, rire, pleurer, souffrir, grandir.
Malgré quelques longueurs et de petits anachronismes, notamment pour les séquences tournées dans la rue (difficile de croire au sac poubelle transparent du plan Vigipirate en 1977…), le bilan général du film est positif : poignant, ce portrait de famille qui tourne autour de la fillette complexée par sa position sociale, montre le côté attachant de Stella. Grâce à sa voix en filigrane et aux plans rapprochés, on pénètre les pensées de la petite, on se met à sa place, on jubile qu’elle batte Guillaume Depardieu aux cartes, on tremble lorsqu’ elle passe au tableau écrire un mot dont elle ne connait même pas l’existence, etc. Difficile de ne pas résister à la mélancolie et à la profondeur du film.

Ce café malsain où finalement la solitude règne permet à deux acteurs que tout oppose (Depardieu et Léora Barbara qui joue Stella) de se trouver et de lier une amitié salutaire, tant pour l’un que pour l’autre. Une petite fille, deux mondes et deux amis, le scénario est une sorte de réunion d’une « schizophrénie du quotidien ». Elle est partagée, perpétuellement coupée en deux. Mais pas les spectateurs, unanimes à la sortie de la projection.

Comédie dramatique ? Non, plus drame qu’autre chose : une petite fille de onze ans débarquée dans un univers dont elle ne connait aucun code ni langage et qui pour combler des lacunes héritées du milieu social de ses parents se heurte à la solitude, la comédie est assez loin. A qui se confier ou demander conseil quand personne ne peut comprendre ce qu’elle vit ? Au-delà de la simple année scolaire pendant laquelle on la suit, le film pose délicatement le sujet d’une enfance trop vite avortée.

Face à certains autres film français du box-office sortis à la même date, on peut se demander pourquoi deux semaines après sa sortie, ce long métrage n’est plus diffusé que dans une quinzaine de salles à Paris et région parisienne. Dommage.

Claire Berthelemy

My magic

MY MAGIC

D'Eric Khoo
Écrit par Eric Khoo et Wong Kim Hoh




Mélodrame touchant, où dans un univers sordide mais empli de magie un fils apprend à admirer son père.

On est dans My magic comme dans une bulle, dans un univers clos et intemporel, où l'on ne reconnaît pas la mégalopole singapourienne aperçu seulement à travers les ruelles encombrées de quartiers promis à la disparition – bien loin des immenses grattes-ciel auxquels on l'associe d'ordinaire. On s'infiltre, par reptation, dans un univers proche des corps, très proche des corps, surtout de celui de l'interprète principal (Francis Bosco), vrai magicien dans la vrai vie, magicien alcoolique (Francis), énorme, irresponsable dans le film. La première séquence donne le ton : on le voit avaler coups sur coups une quantité impressionnante de verres d'alcool, puis le verre lui-même, préalablement mastiqué. Il rentre beurré, bien sûr, et l'énorme corps en sueur s'écroule sur le sol. C'est son fils (Jathishweran Naidu) qui devra nettoyer le sol maculé de vomi en soulevant avec dégoût la tignasse noire du père.

Le fils se demande où est passé sa mère, et pleure sa grand-mère sans doute récemment disparu. Il table sur la réussite scolaire pour s'éloigner du modèle paternel, auquel il finira par crier douloureusement son mépris.

Du coup l'ex-magicien, après avoir essayé de monnayer ses sabres, se résout à redevenir fakir, et à faire subir des tortures de plus en plus violentes à son corps pour des sommes de plus en plus importantes. Tout cela sous les yeux avides d'un obscure gangster excité... Et du public, qui profite des séquences non-truquées mais placées sous le signe de la mise en scène : lumière jaune des torches et des flammes crachées ou avalées, sueur du corps, graffitis aux murs sur lesquels se meuvent des ombres inquiétantes, yeux brillants des spectateurs, très gros plans sur le corps percé, transpercé. « Je voulais quelque chose de brut et de réaliste, avec le moins d'artifice possible » affirme le réalisateur.

Francis ramenant enfin de l'argent, la relation avec son fils s'améliore : jusque-là la communication était nulle, le fils allant sur la tombe de sa grand-mère pour lui confier sa douleur, Francis appelant sa femme avec un téléphone dont la ligne est coupée. Mais le contact s'établit toujours par un intermédiaire : le corps du père que le garçon découvre mutilé, la photo que l'enfant doit aller chercher au fond d'une malle pour qu'enfin son père dévoile le mystère entourant sa femme absente. Le père transmet tout de même un rudiment de magie, qui protègera son fils lorsque ses camarades décideront de le passer à tabac.

Entre magie réelle et magie numérique (la dernière séquence), entre incommunicabilité et amour filial, Khoo signe un mélodrame merveilleux où la réalité (argent et douleur) hante les personnages et par contrecoup le spectateur.

Piera Simon

Home


HOME


Réalisé par Ursula Meier




Pour son premier long métrage de fiction, Ursula Meier réalise un coup de maître. Home est un film parfaitement maîtrisé, autant du point de vue de son propos que de sa forme. L’histoire est celle d’une famille un peu décalée qui a fait le choix de vivre éloignée du reste du monde au beau milieu d’une campagne idyllique. Mais leur rêve est menacé par la présence d’une autoroute qui déchire le paysage en deux. Leur pire crainte devient alors réalité : l’autoroute est mise en circulation, transformant leur havre de paix en bien faible bouclier contre le concert assourdissant du vacarme des voitures qui passent et des problèmes de pollution que cela engendre.

La famille est décalée par son choix étrange, voire absurde, de vivre dans cette maison en ermite malgré la présence de cette autoroute et surtout de s’y complaire sans besoin de voir ailleurs. Le père ne s’en va que pour travailler, et les deux plus jeunes pour aller à l’école. Ce sont les deux seuls liens avec l’extérieur, que l’on ne verra jamais dans le film, la maison étant l’unique décor. Cette famille surprend également par les liens fusionnels, qui peuvent paraître utopiques, unissant chacun. Le début du film en est une parfaite illustration avec la mère, le père et les trois enfants qui jouent ensemble au hockey sur rollers dans une euphorie collective. Cela se voit aussi par exemple lorsque Judith la grande sœur d’une vingtaine d’année prend son bain avec son petit frère, Julien, lui d’une dizaine d’année, ou lorsqu’elle partage une cigarette avec sa mère. Les comportements de la mère et de la fille aînée posent d’ailleurs le plus de questions : l’une passe ses journées à faire les corvées ménagères en s’y complaisant tandis que l’autre lézarde en maillot de bain sur un transat en écoutant de la musique hard rock au volume maximal.
Mais cette famille n’est pas si utopique qu’elle en a l’air ; en révélant tous ses petits problèmes, elle dévoile sa complexité et apparaît plus banale et normale. Par exemple Marion, la fille du milieu, est une adolescente très pudique et complexée qui a une relation très conflictuelle avec sa sœur. De plus, elle s’étonne du mode de vie de sa mère et lui demande pourquoi elle reste enfermée dans cette maison, le spectateur n’est donc pas seul à s’interroger. Face à la mise en circulation de cette autoroute, le film ne se transforme donc pas en comédie déjantée mais au contraire, permet l’approfondissement de la psychologie complexe des personnages. Le film se transforme en huit clos où dans son repliement sur elle-même, la famille va progressivement abandonner sa gaîté. La mise en scène va de pair avec ce cheminement : la caméra à l’épaule du début laisse place à des plans fixes posés, géométriques, laissant signifier l’enferment progressif des personnages. De même, les couleurs chatoyantes du début seront remplacées par l’obscurité. Au côté décalé et léger du début du film s’insinue donc peu à peu la gravité du bouleversement subi par cette famille.

Dorothée Jouan

La bande à Baader


LA BANDE A BAADER


Réalisé par Udi Edel
Écrit par Bernd Eichinger




« Chronique des années de plombs » ou comment retracer le parcours mythique de la RAF (Fraction Armée Rouge, appelée communément « la bande à Baader », du nom de l’un de ses leaders), de sa création en 1968 jusque dans sa descente aux enfers. Un (long) film d’un réalisme sans concession ni bons sentiments parfois dur à encaisser. Qui sont les gentils, qui sont les méchants ? Dans un monde où personne ne s’écoute, ne subsistent que violence et terreur.
Au commencement, une plage, tranquille, deux fillettes qui jouent dans l’eau sous l’œil protecteur de leur mère feuilletant un magazine « people ». Cette séquence anodine cache en fait les prémices du mouvement révolutionnaire. On apprend plus tard que la mère n’est autre qu’Ulrike Meinhof, journaliste connue pour ses prises de position d’extrême gauche, qui lit dans la presse la venue outrageante du shah, symbole de l’impérialisme, en Allemagne. On se met alors aussitôt du côté des étudiants révoltés, mais clairement pacifiques à ce moment-ci, lors du défilé d’accueil, et qui sans ménagement se font agresser par les forces de l’ordre. Tous essaient de fuir, mais vite on se retrouve dans un champ de bataille où les civils sans défense, terrorisés, se font violemment tabasser. Mais bientôt tout se disloque.

Abandonnant leurs familles, un groupe se constitue autour d’Ulrike Meinhof et Andreas Baader. Leur volonté est de chasser définitivement le fascisme afin de retrouver une société humaine libre. Idée louable en théorie, mais Udi Edel choisit de ne pas trop s’attarder sur les motifs pour relater en bloc les faits. Il nous livre une succession d’images, dont beaucoup d’archives documentaires, toutes plus sanglantes et accablantes d’inhumanité. Des personnages apparaissent, disparaissent, tués, tueurs, anonymes, membres de la bande ou de l’Etat. Les éditos d’Ulrike qui offraient des (espoirs d’) explications sont eux aussi noyés dans cette terreur, si bien qu’on ne sait plus qui les écrit, pour quoi, pour qui… Les fondateurs du groupe sont bientôt arrêtés mais les actions continuent à l’extérieur (attentats aux J.O de Munich, détournements d’avion…). La population soutient majoritairement la RAF. Mais tout déraille encore, tensions à l’intérieur des groupes, prises d’otages qui se transforment en massacres, conditions d’emprisonnement déplorables (les blessés meurent vite, laissés sans soins)…
La fin arrive presque comme une délivrance, étrange sentiment en vérité, alors que toutes les têtes tombent, des deux côtés, suicides ? Meurtres ? Là n’est plus la question, la mort est violente, brutale, désespérée. le film brouille quelque peu nos repères historiques et jusqu’à notre bon sens moral. Ici, pas de raisons, on ne sait plus rien, on assiste juste avec horreur à la déshumanisation du monde, au chaos. Destruction du mythe rebelle de la bande à Baader, Etat incapable de garantir liberté, sécurité, droits fondamentaux de l’Homme. Démonstration des plus pessimistes de la nature humaine.

Tout ça n’est pas très enthousiasmant mais un film comme celui d’Udi Edel, qui fait polémique en Allemagne, est important à défendre.

Ana Kaschcett

La Vie Moderne


LA VIE MODERNE


Réalisé par Raymond Depardon




Dernier opus d’une trilogie documentaire sur le monde rural, profils paysans, débutée il y a presque 10 ans, La vie moderne offre un tableau mélancolique de cette campagne qui nous est – pour beaucoup - devenue étrangère.

Le temps a passé, certaines choses ont changé, des personnes ont disparu, d’autres sont arrivées. Depardon a appris à connaître les gens qu’il filme, il les aime et les images les subliment, transmettent cet amour. Le film est fait de longs plans fixes dont aucun ne provoque l’ennui tant l’image est belle et portée par les sentiments qui s’en dégagent. Si parfois aucune parole n’est prononcée, l’échange en lui même est d’une intensité incroyable. Depardon parvient à filmer les silences, qui se substituent alors aux voix pour dévoiler l'âme des gens. Face à ce silence, le cinéaste interroge merveilleusement bien et les réponses comme l’absence de celles ci, sont toujours chargées d’émotions.

C’est une profonde mélancolie qui se dégage de ce film, une extrême tendresse. A aucun moment on est tenté de rire de ce monde qui nous est si éloigné, on a de la peine, on esquisse un sourire, on est ému par ce monde voué à disparaître.

A la sortie, c’est tout une série d’images qui nous restent en tête. Celle de cet enfant qui n’aime pas l’école parce que « c’est trop dur » et qui veut faire « comme son papa », agriculteur, ce dernier lui répondant que son métier n’existera bientôt plus. L’image de cette vache qui meurt et de son propriétaire qui est terrassé, qui semble mourir un peu en même temps que son animal. Cet homme sur son tracteur, agriculteur parce que ses parents l’on décidé, parce qu’il était le dernier fils et qu’il fallait bien quelqu’un pour « reprendre » l’affaire familiale. Ou encore cette femme qui se trouve obligée de vendre ses chèvres parce que ça lui fend le cœur de les voir subir le froid de l’hiver, la grange n’ayant plus de toit à proprement parler et elle et son mari pas les moyens de la rénover. Elle sait qu’elle ne pourra sûrement pas en acheter de nouveau par la suite, elle sait que c’est la fin, que son rêve de vivre pleinement dans la ruralité ne se réalisera plus. Autant de portraits, d’histoires qui nous touchent profondément quand bien même nous ne pourrions nous même jamais être confrontés à de telles situations.

Le sentiment d'isolement, de la précarité accrue, de la fin inéluctable de ce monde à l’écart du bruit et de la fureur de la ville nous touche avec une profondeur que l’on n’aurait pas soupçonnée en entrant dans la salle de cinéma.

Finalement, la caméra s’éloigne sur le chemin, on dit adieu à toutes ces personnes que l’on a aimées à travers le regard de Depardon, un détachement difficile s’opère, un monde disparaît.


Sonia Déchamps

Les enfants sont partis


LES ENFANTS SONT PARTIS


Réalisé par Daniel Burman




Daniel Burman, jeune cinéaste de la nouvelle vague argentine, dresse le portrait de Leonardo, personnage qui se situe à une période délicate de sa vie : celle du moment où ses enfants, devenus adultes, quittent le nid familial. Si ce cinéaste avait fait de la famille le thème de prédilection se son œuvre, jamais il ne s’était encore intéressé à cette crise de la cinquantaine qu’il dépeint ici avec un réalisme teinté de poésie.

Leonardo est dramaturge, et lorsqu’il est confronté pour la première fois de sa vie au lit vide de Julia, sa fille cadette qui n’est toujours pas rentrée dormir, il est inspiré et commence à écrire l’histoire d’un homme et d’une femme qui flottent sur l’eau. La clef de cette image poétique ne nous sera donnée que plus tard. Pour l’heure une ellipse temporelle nous amène au moment où Julia quitte définitivement l’appartement pour s’installer en Israël avec son ami alors que Leonardo reste chez lui, n’ayant même pas voulu l’accompagner jusqu’à l’aéroport. Sa femme Martha n’a quand à elle pas décidé de s’emmurer dans la solitude et renoue avec des cours de sociologie qu’elle avait abandonné pour s’occuper de ses enfants. Le portrait de Leonardo se dessine déjà ici, en contraste avec celui de sa femme. Désormais ses rêves et ses fantasmes se superposent à la réalité afin d’exprimer les interrogations de ce personnage en quête de lui-même.

La mise en scène subtile de Burman permet cet entremêlement, notamment par l’usage du gros plan, propice à capter l’intériorité du personnage. Une forte présence d’un musique jazz permet également d’illustrer les errances de cet homme naviguant entre l’envie de retrouver un passé plus heureux et l’espoir de trouver de la joie et du plaisir dans ce que sera dorénavant son quotidien. Des rencontres fortuites vont l’aider à donner une réponse à ses doutes. Un chercheur qui s’intéresse aux fantasmes que l’on transforme en souvenir lui explique ainsi que l’on a vraiment l’impression d’avoir vécu des événements imaginés, une manière de prolonger la réflexion sur les regrets que l’on peut avoir après tant d’années de la vie écoulées. D’autre part une jeune dentiste représente la cristallisation de tous ces désirs mais est surtout présente pour lui rappeler combien il aime sa femme et comment l’absence de ses enfants va peut-être devenir un moyen d’agrandir sa complicité avec elle. Le tourbillon de sentiments qui assaille le protagoniste est donc exprimé avec justesse, en faisant s’insinuer dans le quotidien des événements à teneur métaphysique. Ils font évoluer le personnage mais également réfléchir le spectateur. L’imaginaire mêlé au réel élargit la portée du film qui ne s’adresse pas seulement aux quinquagénaires redoutant le jour du départ de leurs enfants mais à tout membre d’une famille. C’est de la force du lien familial dont il est aussi question ici, indestructible malgré la fuite du temps.

Dorothée Jouan

DVD : Running out of Time


ARRÊTE-MOI SI TU PEUX...

Running out of Time

Réalisé par Johnnie To
Avec Andy Lau, Lau Ching Wan et Yoyo Mung
Écrit par Nai-Hoi Yau, Laurent Courtiaud et Julien Carbon






Un polar aussi jouissif qu'ingénieux, réunissant les admirables Andy Lau et Lau Ching Wan pour un affrontement malicieux entre le meilleur des voleurs et le plus talentueux des policiers de Hong Kong. Running out of Time confirme le talent de Johnnie To alors que nous ne sommes qu'en 1999 et que le meilleur est à venir.

Petit retour sur le film, à l'occasion d'une réédition par l'éditeur Ctv International, dans un coffret réunissant Running out of Time, Fulltime Killer et Mad Detective. Qui ne résumerait pas instinctivement le cinéma de Johnnie To par le mot « polar », tant les siens ont marqué le paysage cinématographique hong-kongais, asiatique et même international, que le bonhomme en soit le réalisateur ou le producteur ? Et pourtant, le grand public semble ignorer que sa filmographie couvre également les arts martiaux, le mélodrame, le fantastique et la comédie.

De comédie, il en est bien question ici, puisque Running out of Time semble être le parfait avatar d'une conciliation entre elle et le polar, soit peut-être les deux genres fétiches du réalisateur. L'humour facétieux parcourt le film en long, en large et en travers, aussi sûrement que le voleur Wah suit le déroulement de son plan minutieusement élaboré, l'inspecteur Sang étant tantôt derrière tantôt devant, ou plus exactement à ses côtés. En effet, Running out of Time a beau s'afficher comme une perpétuelle oscillation des positions de force entre le voleur et le policier, comment ne pas voir en eux les deux facettes d'une même pièce, différenciées mais intrinsèquement soudées ? Tous deux isolés dans un monde qui ne les estime jamais vraiment à leur juste valeur, les deux génies trouvent une plus forte raison d'exister en s'affrontant pour ce en quoi ils croient encore – les moments touchants de sentiments n'étant jamais très loin.

A l'image d'un découpage de plans rapide, régulier et presque frénétique tout au long du film, les phases du plan de Wah se succèdent dans un rythme brillamment mesuré, évoquant implicitement le compte à rebours du peu de temps qu'il reste à vivre pour celui qui est incarné par Andy Lau, toujours prêt à se travestir avec un plaisir manifeste. Et c'est sur le thème principal en fond musical, évoquant une dernière marche glorieuse, que la voiture conduite par Wah s'élance vers l'horizon, tel le cinéma de Hong-Kong qui repart de plus belle en faisant un beau pied-de-nez à cette Rétrocession.

Pierre-Louis Coudercy

DVD : Fulltime Killer


"PLUS TU FUIS LA MORT ET PLUS TU T'EN RAPPROCHES"

Fulltime Killer

Réalisé par Johnnie To & Wai Ka-Fai
Avec Andy Lau, Takashi Sorimachi, Kelly Lin et Simon Yam
Écrit par Wai Ka-Fai et Joey O' Bryan






Fulltime Killer ou un typhon de références dans un polar fou furieux, où le plaisir brut transcende toute les petites maladresses. Fulltime Killer ou un affrontement entre deux tueurs professionnels, radicalement différents mais pourtant similaires. Fulltime Killer ou des étincelles entre des stars, des réalisateurs et des modèles.

Petit retour sur le film, à l'occasion d'une réédition par l'éditeur Ctv International, dans un coffret réunissant Running out of Time, Fulltime Killer et Mad Detective. Comment choisir d'étiqueter ce polar d'action, entre cette sempiternelle thématique du Duel des Titans et cette étouffante densité de références, lorsqu'il semble être un tel entrelacs des deux ? Peut-être aucune, par souci d'éviter la naïveté des étiquettes, mais aussi parce que cet entrelacs en question de deux pratiques stéréotypées est probablement trop peu raffiné pour être pris au premier degré.

Rares sont les films à citer leurs inspirations avec autant de directivité à travers les répliques, les situations ou les scènes d'action. Que ce soit Léon, Crying Freeman, Point Break, Desperado, le jeu vidéo Metal Slug, et même The Mission (de Johnnie To himself !), tout y passe ! Qu'importe cette manière de procéder, sans doute trop indélicate ou grossière au goût de certains, car Johnnie To (et son compère Wai Ka-Fai, il est vrai) ne se prend peut-être guère au sérieux dans un film abacadabrant, où les tueurs collectionnent des Snoopy, se répandent en crises épileptiques et apprennent à une vendeuse de vidéoclub à manier le fusil à lunette – ce qu'elle exécute d'ailleurs fort volontiers face aux membres armés d'Interpol, purement et simplement dépassés par les évènements !

Bien que les tueurs O et Tok soient aussi différenciés sur le papier que peuvent l'être Andy Lau et son panache intarissable face à Takashi Sorimachi et son austérité professionnelle, rarement le principe du dual focus évoqué par Rick Altman dans son ouvrage Film/Genre n'aura été aussi paradoxalement valide au sujet de deux styles d'un même individu, foncièrement opposés dans leur appropriation du cadre, du contrat, et d'une femme – touchante Kelly Lin – et pourtant aussi interchangeables dans un jeu de miroirs digne de The Longest Nite, où l'un observe l'autre, où le premier peut avoir le dessus sur le second, et ainsi de suite. Défis lancés, balles tirées, impacts encaissés, les scènes d'action se succèdent depuis le Japon jusqu'à Hong Kong en passant par Singapour, pour atteindre un final où l'on est ramené à cette phrase que l'on n'explique même plus : "Lorsque la légende est plus grande que la réalité, nous choisissons d'imprimer la légende".

Pierre-Louis Coudercy

Chronique : "Dig Out Your Soul" (Oasis)

Que pouvait on attendre encore du groupe mancunien Oasis tant le groupe joue en roue libre et produit des galettes resucées depuis maintenant 10 ans et l’électrochoc que fut What’s the story ? Morning Glory ? Classé monument national outre-manche les anciens lads qui ne font vraiment pas l’unanimité au pays de la chanson à textes et ont à peu près tournée la page de leur virées brutales dans les pubs sur fond de pyramides de coke, ne doivent pas être totalement enterrés. Avec l’intraduisible Dig out your soul (titre tout de même moins abstrait que l’album « Standing on the shoulders of giant ), les frangins à sourcils débarquent avec 11 titres honnêtes de boogie rock'n’roll beaucoup moins cernées par la caricature. Plus tourné vers des sonorités psychédéliques (orgues atmosphèriques, enchaînements ouverts sur des bruitages remarquables) l’album semble avoir été vraiment conduit par un Noêl Galagher (le guitariste et grand frère de Liam) qui a subtilement éviter de poser la voix traînante du frère ennemi… Voix qui semblait alors vouloir clamer qu’elle fut touchée par le fantôme de Lennon et glissait finalement dans la une bouillie grandiloquente. En injectant un schéma plus subtil à leurs compositions, le groupe a semble t il digéré le fait que le monde du rock ne tourne plus autour d’eux. Les titres qui gardent malgré tout l’« Oasis touch » s’étirent davantage en longueur, infiltrent plus sereinement l’oreille comme une jam session et invitent, comme à l’époque, à laisser agir ces refrains libérateurs. Mais ne donc croyez pas que The Turning, The shock of the lighting, Ain’t got nothing soient les chansons conduites par des bluesman grabataires ! Les riffs crus forment toujours ces piqûres de rappel abrasives qui réchauffent le sang. Les véritables pépites de cet album sont assurément le Soldier on terminal et ce hit incontournable écrit par Liam (l’inspiration le prend tous les décennies) I’m outta time où sa voix semble touché par la grâce en cette aube suspendue à des clochettes rêveuses. Oasis n’a pas perdu toute son âme, sa renommée, l’avait en réalité, fortement rudoyée. Le groupe est aussi à voir en live pour son foocking wall of sound et après lequel selon les dires du plus grand branleur de l’univers, il faudra se faire recoller les dents !
Romain Génissel

http://www.myspace.com/oasis


Chronique : Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood

A la cinémathèque française
Ces derniers mois, un souffle nouveau a infiltré les murs austères de la cinémathèque française en faisant la part belle à la génération dite des Seventies et à une de ses figures imposantes, le démentiel Dennis Hopper. Accompagnée d’une rétrospective des films de l’acteur- réalisateur, d’une leçon (d’anecdotes) de cinéma assez faramineuse, l’exposition invite à s’assurer une nouvelle fois de l’effervescence créatrice d’une époque qui n’a pas fini de faire trembler notre présent. Le fonds de collection prêté à la cinémathèque s’avère suffisamment conséquent pour établir un parcours ouvert entre quatre salles où sont exposées de multiples supports qui révèlent bien le kaléidoscopique champ artistique de l’époque. Le choix d’un parcours linéaire permet de bien saisir le trajet d’un artiste aux milles visages, consumé puis résucité par d’incessantes influences comme en perpétuel réaction des événements qui secouèrent la dite période. L’œil se ballade dans le lieu en prenant acte que l’artiste Hopper s’est révélé avant tout par la communauté, plus ou moins souterraine, qui l’entoure sur la voie de son éclosion (on voit Hopper sur une photo de tournage lire La Méthode de Stanislavski, manifeste de l’Actor Studio). De ses premiers pas fringants devant l’objectif avec James Dean jusqu’à l’immortalisation de sa figure par une sérigraphie warholienne, Dennis Hopper a imposé une image d’artiste baroudeur et de cowboy esthète. Son parcours esthétique inspiré par des mouvements underground et des substances psychotropes métaphorise, depuis Easy Rider, une énergie se dépensant à perte et fonctionnant à plein. Les traces marquantes de ses interprétations, de la rutilante jeep-car d’Easy Rider jusqu’au cœur de la démesure d’Apocalypse Now en passant par la dérive mélancolique d’un vétéran dans Tracks, permettent de bien saisir sa foudroyante personnalité. A la manière de cette performance hallucinée où l’acteur cherche à se faire dynamiter par une charge d’explosifs, on peut bien avouer que Dennis Hopper est un véritable survivant (l’influence de la culture hip hop réglée avec Colors le prouve admirablement). Aussi, l’expo donne à voir comment le cinéma de cette époque inspire les toiles éclatées de Basquiat, semble hanter l’expressionnisme abstrait et va jusqu’à entrainer la peinture à se modeler à son image. Finalement, le spectateur ne ressort pas abattu par un fléchage trop fermé et la lourdeur habituelle de la muséification du cinéma. Au contraire, cette escapade précise dans l’œuvre d’Hopper offre une libre circulation dans une émulation esthétique incroyable où la puissance formelle frappe à chaque instant. On ne peut même s’empêcher de revisiter une fois encore ce haut lieu de l’énergie contestataire et cette période fascinante qui demeure éternellement rattachée à celle d’un rêve évanoui. Et merde, Dennis Hopper au musée… « We blew it ».
Romain Genissel

Chronique : Figaro divorce

D’Ödön von Horvath, mise en scène de Jacques Lassalle à la Comédie-Française
Nous avions quitté Figaro fraichement marié chez Beaumarchais, le voilà dans la pièce d’Horvath en fuite avec ses maîtres, le comte et la comtesse Almaviva, et Suzanne, son épouse. La révolution va chambouler la vie de nos protagonistes, partagés entre leur loyauté envers leurs maîtres et la tentation de s’émanciper pour vivre à son propre compte. Une fable sociale sur les difficultés de l’expatriation et la fidélité.
Ödön von Horvath, précurseur du théâtre du quotidien du début du XXe siècle, écrit Figaro divorce dans l’entre-deux-guerres et élève ainsi la tragi-comédie sociale à son sommet. Il est aujourd’hui célébré comme l’un des plus grands dramaturges du XXe siècle, et à juste titre, et son nom mérite d’être retenu. Une bonne raison d’aller voir la représentation de Jacques Lassalle au Français, donc.
On peut certes déplorer une mise en scène un peu facile –le système de plateau tournant à trois panneaux maintes fois réutilisé-, mais le tout est (comme toujours au Français) bien propre et bien fait. Les rôles principaux, Figaro et Suzanne, respectivement interprétés par Michel Vuillermoz et Florence Viala sont un peu mous, mais la pièce est sauvée par les seconds rôles dont certains valent vraiment le détour. Denis Podalydès en composition de Pédrille est impeccable de même que de jeunes acteurs comme Judith Chemla (que l’on a pu voir au cinéma ces derniers temps dans Musée haut, musée bas, et Versailles) et particulièrement Loïc Corbery dans sa parfaite composition de Juriste féministe.
On passe un bon moment donc, avec un bon texte, des personnages (secondaires) surprenants qui rattrapent l’ennui de la mise en scène (point positif de celle-ci : l’action se déroulant au centre du plateau, la place à visibilité réduite achetée une heure avant le spectacle au petit bureau pour 5 petits euros convient parfaitement).
Ana Kaschcett

Chronique : LOW MOON et autres histoires (Jason)

Carabas Editions
Lost in comic strips. Après avoir lu un article élogieux sur l’œuvre de Jason, dessinateur norvégien qui connaît un petit succès en France, je me renseigne auprès du vendeur. Celui-ci reste un instant, coït : « J’adore. Vous me surprenez , malheureusement, on n’en parle jamais assez. J’aime beaucoup son côté décalé. » dit-il, en me tendant « Low moon », le nouveau livre de Jason. J’ouvre la bande dessinée et c’est tout un univers particulier qui s’offre : un trait simple, des couleurs standards. Pourtant, le charme est là. Jason est un raconteur d’histoires : du western où les cow-boys s’affrontent à coups de parties d’échecs, à la jeune fille suicidaire qui fréquente des tueurs à gage, en passant par deux amants qui n’arrivent pas à se débarrasser d’un mari encombrant… Ces petites histoires sont truffées d’une « ambiance douce-amère », d’ironie, de poésie. Les personnages – des animaux au regard vide – apparaissent impassibles. Pour Jason, l’émotion n’est pas dans le dessin mais plutôt dans la relation complexe qui existe entre les personnages. La pureté du trait est privilégiée, affirme Jason, très influencé par le cinéma de Jim Jarmusch et de Buster Keaton. « Low moon » réjouira ceux qui aiment le burlesque, les dessins gris et joyeusement tristes, – l’humour noir, surtout.
Roseline Tran

Chronique : "Peaceful, the world lays me down" (Noah And The Whale)


Folk, Pop

Ce petit groupe londonien en jette : de l’énergie, de la fraîcheur, tout en restant modeste et sympathique. Influence : Bob Dylan et cela s’entend : guitare-voix, souvent accompagné par un ukulélé ("Second Lover", "Mary"), ponctué par des violons, du piano, de la flûte, et autre son de clochettes… pas moins. Le premier album de Noah and the whale, à la fois mélancolique et joyeux, coloré et sombre, marqué par le single "Five Years Time", prolonge un peu l’été et ça fait du bien.

Chronique : Pollock et le chamanisme

Exposition à la pinacothèque de Paris
Ceux qui vont voir dans cette exposition pour y admirer les immenses drippings par lesquels Pollock s'est fait connaître seront déçu, car la plupart des tableaux présentés sont antérieurs à cette période... Mais l'on apprend beaucoup sur les sources d'inspiration de Pollock, et sur le chamanisme en général (origines sibériennes et évolution). Du moins si l'on a la patience de lire les longs écriteaux explicatifs dans la semi-obscurité encombrée du sous-sol de la pinacothèque... A noter les deux intéressants films anthropologiques des années 1920, les multiples objets aux propriétés chamaniques, ainsi que quelques tableaux d'André Masson.

Piera Simon