Les Bureaux de Dieu


LES BUREAUX DE DIEU

Écrit et réalisé par Claire Simon





Ce film donne le vertige : pas seulement parce que nous sommes montés par un ascenseur grillagé jusqu'au sommet de l'immeuble parisien abritant le planning familial, espace unique de l'action du film. Pas seulement à cause des décisions, dont l'enjeu peut faire basculer une existence, que des femmes jeunes et moins jeunes prennent dans ces « bureaux de dieu ». Pas seulement parce que la façon de considérer la sexualité, à une époque où Simone Weil est la sixième femme à entrer à l'académie française, peut laisser perplexe celles et ceux qui se sont battus pour l'avortement et la contraception, et considèrent des droits conquis de haute lutte comme entrés dans les moeurs. Pas seulement parce que le casting réunit quelques-une des plus grandes actrices françaises du moment (Nathalie Baye, Béatrice Dalle, Nicole Garcia...)

Mais parce qu'il nous mène avec délicatesse, sans voyeurisme, au plus proche de sujets très intimes : on peut rire en entendant Nedjma raconter qu'elle doit cacher ses pilules sur sa boîte aux lettres, on peut s'attendrir devant cette prostituée amoureuse tombée par trois fois enceinte du même homme. Claire Simon parvient à nous poser en spectateurs sans faire de nous des intrus : grâce à une subtile alliance entre fiction et documentaire.

La base est documentaire, issue des enregistrements patiemment récoltés par la réalisatrice dans différents plannings familiaux. Le film est une fiction, avec des acteurs ayant appris par coeur un texte ; mais l'actrice reconnue et l'apprentie actrice n'étaient pas autorisées à se rencontrer avant d'être derrière la caméra, ce qui se rapproche des conditions du réel entretien entre la conseillère et sa patiente. Fiction aussi dans le montage et le cadrage, qui forcent à faire des choix et à rythmer le film ; mais souvent la mise en scène est dans la temporalité réelle d'un dialogue filmé sans coupure, d'un seul bloc de temps, à base de panoramiques filant d'un visage à l'autre, les protagonistes n'apparaissant pas dans le même cadre puisque c'est ce qui se passe entre eux qui importe. Documentaire parce qu'ainsi, ce n'est pas le réalisateur qui croit en savoir le plus sur le personnage, mais bien l'actrice qui est à même de faire revivre celle à qui elle prête sa voix – elle parle pour une autre, mais qui aurait pu être elle. Et c'est grâce à cette distanciation que le spectateur peut tout voir sans rien perdre.

On redescend (toujours par l'ascenseur bien sûr) marqué par ce film, parce que chaque plan y est une expérience, et que chaque expérience nous est donnée à voir. Claire Simon assure non seulement la mise en scène, mais aussi, « le doigt sur la gâchette » (dixit elle-même), la tenue de la caméra : puisqu'il y a, dit-elle encore, toujours quelqu'un pour vous empêcher de tourner. Qu'on se le dise.

Piera Simon

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