Les plages d'Agnès

de Varda


« Je joue une petite vieille rondouillarde et bavarde, qui raconte sa vie » : après la voix-off des Glaneurs, et l'apparition en joueuse de casino aux côtés de la croupière Jane Birkin dans Jane B par Agnès V, Varda se livre toute crue à son public pour fêter ses 80 ans. Une petite plongée dans l'univers Vardesque, guidé par la cinéaste elle-même, qui n'a pas peur d'affirmer qu'elle « habite le cinéma » et se construit des cabanes en pellicule.

Parce que « l'imagination élève d'un ton la réalité », comme disait Bachelard, Varda ne pose pas de bornes à son film. Raconter sa vie, d'accord, mais multiplier les façons de raconter, c'est encore mieux. Un peu comme tous ses miroirs installés sur la plage, au début du film, et qui reflètent la mer, le ciel, d'autres miroirs, parfois la caméra et surtout les techniciens, au point de se perdre dans les reflets successifs – mais qui ne montrent pas Agnès. Il faut savoir laisser l'image aux autres, il faut savoir les écouter aussi (c'est déjà comme ça que se construisait le portrait en creux de la silencieuse Mona de Sans toit ni loi) : « imaginer la perception d'un film par les autres, c'est vraiment ça notre métier ».

De plages en plages, de films en films, toute une vie de cinéaste se déroule. Même lorsqu'elle n'est pas derrière la caméra, Varda ne peut s'empêcher de faire du cinéma, en mimant face à nous un travelling arrière. Ou, si elle est au cadre, elle choisira de montrer d'abord un plan vide, en laissant à l'humain l'effort de venir s'y infiltrer : un « cadrage insistant » qui fait sentir le cinéma – et la cinéaste.

En suivant toujours le fil de sa voix-off qui raconte et commente, le film se déroule, passant du noir et blanc à la couleur, tentant de reconstituer des souvenirs d'enfance, laissant un instant la place à un autre film, d'elle ou de Demy, nous plongeant parfois dans des séquences oniriques comme lorsqu'il s'agit de remonter la Seine à la voile, ou de faire venir des trapézistes sur une plage. Parce qu'aussi, « au cinéma on se donne le moyen de réaliser ces rêveries »... Des rêves en couleur et en douceur, un peu comme les films en couleur et en chansons de Jacques Demy, dont l'absence traverse Les Plages et à qui Varda n'a de cesse de rendre hommage. Quitte à jouer avec ses films, et à transformer la Sandrine Bonnaire déguenillée de Sans toit ni loi en la fée éblouissante de Peau-d'âne. Parce qu'il y a toujours moyen de saisir un sourire, ou un instant de bonheur, même s'il est incertain, même si une famille vêtue de blanc et dansant avec grâce exclut a priori une Varda habillée de noir : il faut aller vers eux et offrir ce que l'on peut. Comme un conte en image.

Piera Simon


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