"Envoyés très spéciaux", Frédéric Auburtin


Réalisateur du volet « Quartier Latin » dans Paris je t’aime, Frédéric Auburtin se place ici aux antipodes de ce court-métrage en offrant une comédie bien française, gags et scénario loufoque à l’appui.

Les deux Gérard (Lanvin et Jugnot) forment un duo de journaliste/technicien pour une grande radio française. Ils sont envoyés en reportage en Irak. Sauf que … Jugnot dit Poussin dans le film, dont la femme l’a trompé « par mégarde » avec Lanvin (Franck) sans savoir qu’ils étaient associés, jette l’enveloppe contenant les billets de leur vol pour Bagdad et les 20 000 euros en liquide, réserve à des fins de survie une fois sur place. Ils décident donc de tourner leur reportage depuis Barbès, chez Jimmy (Omar Sy).

Passé la petite histoire, en profondeur, on y trouve LE très beau monde des médias tourné en dérision, de mise pour un sujet sérieux comme celui d’une prise d’otage (inventée de toute pièce par le « duo de choc »). Cette position satyrique est tellement agréable à regarder : le cinéma qui met à mal la presse, les émissions larmoyantes profitant du filon « sensibilité du spectateur », la manipulation de l’information, etc.

Dans ce film, de belles surprises comme Omar Sy d’Omar et Fred dont la prestation en gérant de sauna homosexuel ou encore la reconversion réussie d’Anne Marivin, ex-Ch’ti (ouf ?). Les quelques séquences de guerre sont également pleine de réalisme et méritent d’être citées, ne serait-ce que parce que ces scènes ont du être les plus techniques du film.

Finalement, Jugnot est égal à lui-même, acteur de comédie ni bon ni mauvais. Lanvin est autant agaçant qu’attachant et le duo qui en résulte pallie le côté parfois plat du reste. Leurs réactions s’anticipent de manière trop prévisible, malgré un petit suspens (rare) et manquent de finesse pour des acteurs dont les carrières réciproques ne sont pas à leurs débuts…

Bilan global en demi-teinte : ce n’est ni le film de l’année, ni le navet tant attendu.

Claire Berthelemy

Les Noces Rebelles, Sam Mendes


Estampillé drame, le dernier film du réalisateur d’American Beauty est bien plus qu’un simple mélodrame. April (Kate Winslet) et Frank Wheeler (Leonardo DiCaprio) forment un couple que tout unit. Deux enfants qui jouent dans un grand jardin, une maison en banlieue pavillonnaire, un mari qui travaille et une femme au foyer. Le tableau de l’Amérique des années 50 est bien planté. Mais les espérances d’April viennent tourmenter leur fragile équilibre : elle qui aspirait à devenir actrice se retrouve à plier du linge et être aux petits soins pour son mari. Pour cette famille dont les idéaux sont libérés pour l’époque, il faut une solution. Et c’est April qui encouragera son mari à quitter son travail et à partir pour Paris, en bateau.

Non, cette histoire de bateau n’est pas une suite du Titanic. Certes les deux protagonistes ont déjà formé un couple par le passé, mais ici il s’agit de la chronique d’une dérive matrimoniale. Ils ne s’aiment plus. Les deux étapes de leur vie, passé/présent, s’entremêlent sous forme de flash-back, et orchestrés par cette crise conjugale latente forment un progressif désenchantement. Cette adaptation d’un roman de Richard Yates sonne comme le symptôme de l’Amérique de ces années-là. En effet, la reproduction sociale en toile de fond résonne comme un avertissement dès les premières scènes du film : Frank travaille dans la même entreprise que son père. Du petit-déjeuner paternel à la mère au foyer souriante, en passant par le partage d’une tasse de thé entre voisines, le rapprochement sociologique n’est pas un raccourci et reste présent tout au long du film. En clair, c’est le portrait type de cette Amérique qu’April refuse, succombant à ses désirs d’évasion et de « vie folle ».

L’attente d’April, de Frank, l’annonce de leur départ prochain à leur entourage, l’emballage de cartons concourent à tenir le spectateur en haleine, suspense en faux semblant, alors que règne une atmosphère anxiogène. Ces mélanges de sensations, tenaces, semblent s’unifier en un certain soulagement à l’approche du dénouement. Si le soulagement se confirme, la réussite du film également.

En effet, les acteurs sont brillants. Kate Winslet excelle en mère au foyer rongée par ses rêves et ses désillusions, épatante dans sa partition douloureuse et triste, mais aussi à travers cette fureur de vivre. Le jeu de Leonardo DiCaprio quant à lui reste plutôt dans l’ombre de celle que l’on peut appeler l’héroïne, récompensée par le Golden Globe de la meilleure actrice. De plus, l’ennui du couple en perdition constitue la base du scénario. Quoi de plus complexe pour un réalisateur que filmer l’ennui sans le provoquer chez le spectateur ?

En dernier lieu, il ne faut pas oublier la bande originale mémorable de Thomas Newman, donnant aux personnages et au scénario une consistance de flottements et de doutes. Tout était donc réuni pour aboutir au Film de l’année. Attendons de voir les résultats des Oscar 2009…

Alors somme toute, c’est triste, mais indéniablement à voir.

Claire Berthelemy

Des Idiots et des Anges

CONTE DE LA LUNE VAGUE


réalisé et produit par Bill Plympton


Bill Plympton est un créateur allumé qui semble revenir de loin après l’échec commercial du très ambitieux Hair High. Sévissant en marge du cinéma d’animation depuis deux décennies, Plympton laisse courir sur ses planches une imagination délurée et un trait des plus furieux. Après l’impitoyable lune de miel, Les mutants de l’espace et le décapant Hair High, celui qui a, un jour, déserté le Vietnam revient en farouche indépendant avec le conte torturé Des Idiots et des Anges.


Dans la foulée de ses précédents opus, Des Idiots et des Anges, s’adresse, à la différence du cinéma d’animation mainstream, à un public averti. La méthode obsessionnelle de Plympton, consiste toujours à exploiter une limite qu’il s’agit de transgresser. Sa force tient essentiellement à ce déluge de visions gores et autres abysses organiques que sa galerie de freaks appelle et libère. Ce qui fait donc plaisir à voir chez Plympton, c’est ce dessin saturé qui déforme les perspectives et déplace le bon goût vers un univers trash, pervers et… idiot. Mais le cadre Des Idiots et des Anges modifie quelque peu les lignes de l’atelier Plympton en s’ancrant sur un terrain davantage réaliste.


Réveillé tous les matins par la lumière agressive de l’aube et le chant d’un oisillon, notre homme est un indécrottable bougon. Ce quotidien qu’il voit sombre l’amène à passer des journées entières dans l’antre noire d’un troquet à s’enfumer le cerveau et s’envoyer des verres. Egoïste et haineux, ce célibataire endurci s’éveille un beau jour avec des ailes qui lui ont poussé dans le dos. Désirant masquer ce don du ciel, l’homme préfère briser son envol et se complaire dans son dégoût du monde. Lorsqu’il voit se dessiner à répétition cet appel d’air, Angel est ridiculisé et pointé du doigt par ses pairs. De là, c’est tout un cheminement sur terre et dans les airs, de la terreur à la bonté que va tracer l’âme d’Angel.


Au regard de la fable, on pourrait croire que Des Idiots et des Anges s’aventure sur un terrain à forte consonance biblique mais tout cela reste très nuancé. Car c’est le traitement du film qui emporte la vision vers un onirisme jamais dégoulinant et toujours contrebalancé par des chutes au cœur d’un environnement hostile. Tourné en noir et blanc et sonorisé uniquement par une bande originale de folie (dont Tom Waits et son timbre nourri au bourbon), le film passe par une violence explosive avant de battre de l’aile. L’âpreté des relations et ce cynisme latent qui parcourent l’atmosphère charbonneuse et raturée du film, ouvrent à un lyrisme des plus noir. Inutile alors de voir comment Angel ravale ses larmes et charcute à coups de tronçonneuse son autre moi, afin de comprendre pourquoi l’échappée s’avère si salutaire.


Romain Génissel