Exposition : Controverses


jusqu'au 24 mai, BNF (site Richelieu)

Intéressante initiative que de choisir d'exposer ainsi des photos dont le seul lien est la polémique qu'elles ont provoqués en leur temps. Chacune accompagnée d'un texte explicatif, les quelques quatre-vingt photos présentées sont ordonnées chronologiquement, et proposent ainsi une histoire de la photographie à travers les gorges chaudes qu'elle a pu susciter.

De procès en provocations, la photo acquiert son titre d'art et ses lettres de noblesse. Nadar y gagne le droit exclusif de son pseudonyme, Chaplin la reconnaissance de la création d'un personnage. La photographie, représentation soit-disant exacte de la réalité, pose bien des problèmes lorsqu'il s'agit de reconnaître l'existence des fées ou de l'empreinte sur le suaire du Christ. Sous prétexte que le mécanisme de l'appareil photo exclut l'homme, on suppose que la photo est objective... Mais il reste toujours quelqu'un pour appuyer sur le déclencheur, et plus récemment, le problème de la position du photographe se pose – le droit de rendre esthétique la souffrance humaine, la légitimité à divulguer au monde le visage de celui qui souffre et qui meurt.

Action-réaction, ou comme disait Deleuze, réflexe sensori-moteur : à quel moment la souffrance devient-elle trop forte pour que le geste machinal ne puisse plus avoir lieu ? D'aucun se tue pour l'avoir eu : transmettre est un fardeau lourd à porter. On n'a pas laissé le choix à Garanger lorsqu'il s'est agit de photographier des femmes algériennes qui n'avaient jamais ôtées leur voile devant un homme inconnu pour leur fabriquer des papiers d'identité. Farocki (autour duquel une exposition aura bientôt lieu au musée du jeu de Paume), dans son documentaire Images of the World and the Inscription of War (1988), cachait successivement le bas puis le haut du visage de ses femmes : qu'est-ce que des lèvres qui n'ont jamais été vu ont à divulguer de plus que les yeux fardés avec soin pour le regard de tous ? Qu'est-ce qui fait la singularité d'un visage ?

La photographie a envahi notre vie et les couloirs du métro. Ne pas savoir, ne pas avoir vu, devient un crime. D'ailleurs, les clichés du camp d'Auschwitz pris depuis un avion américain allant bombarder non loin de là ont pris leur temps avant d'être révélés au grand public : au fond, dans ce cas, qu'est-ce qu'avoir photographié à permis de plus ? Farocki, lui, expliquait bien aussi que même la vue du ciel est trompeuse, pour un peu que les hangars militaires ressemblent à des bosquets d'arbres : lire une image, ça s'apprend. Elle se charge heureusement de nous le rappeler de temps à autre, en choquant et en faisant parler d'elle – merci à cette exposition de nous le rappeler.

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