DVD : Eldorado

écrit et réalisé par Bouli Lanners


Sorti clandestinement cet été sur les écrans français, Eldorado mérite amplement son titre et très peu son relatif anonymat. Eldorado provient de l’imagination de l’acteur belge, Bouli Lanners, passionné de grands espaces et féru de road-movie. Il invite ainsi à suivre le parcours de deux inoffensifs loser errant à bord d’une Chevrolet 59 et sur les voies mineures d’une Belgique magnifiée.

Bouli Lanners prévient tout de suite quiconque s’aventurerait avec lui dans son périple folklorique, il ne prendra pas l’autoroute. L’autoroute dans l’imaginaire américain auquel fait constamment référence le film, c’est la grand-route, la voie des pionniers qui ouvrait alors vers l’Ouest sauvage et le pur territoire. Malheureusement Outre-Atlantique cette grand-route n’est plus qu’un mythe usé et un réservoir de fictions dorénavant vidé par l’âge de la civilisation. Décomplexé par cet état de fait, Bouli Lanners a imaginé revisiter ce mythe et en faire le moteur d’une fable où l’esprit belge pourrait se réaliser pleinement.

Après une ouverture drôlissime sur un indien persuadé d’être la réincarnation du christ, le film démarre avec Bouli Lanners roulant dans la nuit bleutée et reprenant à tue tête l’air électrique qui s’échappe de son autoradio. De retour à son domicile, il découvre qu’un intrus a forcé sa porte. Il finit par passer une nuit entière à demander poliment au voleur de bien vouloir sortir du lit où il se terre. On se rend compte alors que l’action ne sera pas la perspective adoptée pour le film. La balade se fera plutôt on the road pour Elie, jeune héroïnomane coincé et boulet atterri aux pieds de Bouli, cœur tendre au physique d’ourson. Des kilomètres qu’ils avalent et des galères qu’ils appellent, les deux acolytes vont nouer une relation aussi éphémère qu’une éclaircie en territoire flamand.

Après quelques pépins de mise en route et le voile des distances envolé, le road-movie s’enclenche et des digressions contemplatives se libèrent. Car aussi étonnant que cela puisse paraître, les étendues terreuses et les décors boisés d’Eldorado dévoilent un arrière pays assez fascinant (le filmage en Scope aidant…). Les travellings latéraux qu’opère le réalisateur lorsque le paysage défile demeurent aussi hypnotiques que ceux d’un Jarmusch filmant la Nouvelle Orléans. Des accents fordiens viennent même teinter la séquence où Elie revient sur ses terres natales et où l’on voit sa mère mesurer, de sa fenêtre, le temps qui court. Mais le road movie de Lanners ne s’arrête pas là puisque toutes ces références sont intégrées à l’approche burlesque qui traverse le film et en contamine tous ses noirs dialogues. Et Eldorado demeure alors ce rejeton belge qui gagné par des situations absurdes et un humour tranchant fait parfaitement sien son rêve d’Amérique. La Belgique, nouvelle terre d’asile ?

Romain Genissel



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