Théâtre : La 23ème Nuit des Molières


LA 23ème NUIT DES MOLIÈRES





On passera rapidement sur l’émission en elle-même qui fut un désastre inénarrable. Certes ce genre de cérémonie est rarement incroyable mais ici la platitude atteint des sommets inégalés. Au Théâtre de Paris, la cérémonie récompensant les pièces, comédiens, et techniciens se démarquant sur scène cette année fut ponctuée du concours de citations plus académiques les unes que les autres du présentateur, Frédéric Mitterrand, des gags insipides et insupportables d’un Laurent Baffie qui ne sait décidément vraiment plus comment se recycler et des bâillements intempestifs d’Albanel qui ne cache pas son ennui. Quelques animations musicales ont bien tenté lamentablement de relever l’ambiance mais le vrai drame de la soirée est certainement l’absence totale de toute image, de tout extrait ou quoi que ce soit qui aurait pu donner un soupçon d’idée des pièces nommées et primées au spectateur – qui aurait pu avoir la soudaine envie de quitter la protection de son écran de télévision pour aller s’aventurer au théâtre, sait-on jamais –, un comble pour du spectacle vivant…

Coriolan de Christian Schiaretti dans une production du TNP (que l’on espère vivement voir en tournée) reçoit grâce à l’originalité de sa mise en scène le Molière du théâtre public, du metteur en scène et du meilleur second rôle masculin. Du côté des théâtres privés, c’est Zabou Breitman qui rafle le prix, ainsi que le Molière de l’adaptateur, pour Des Gens d’après Urgences et Faits Divers de Raymond Depardon (au Petit-Montparnasse du 2 mai au 28 juin) tandis que Monique Chaumette, madame feu Philippe Noiret, est justement distinguée pour son second rôle dans Baby Doll. Pour les prix techniques c’est le très conventionnel Diable Rouge qui se voit primé pour la lumière (Marie-Hélène Pinon) et le décor (Catherine Bluwal) au détriment de la magnifique scénographie de Giorgio Barberio Corsetti pour Gertrude (le Cri) au théâtre de l’Odéon dont l’ingéniosité et la parfaite maîtrise technique sont injustement oubliées (d’autant plus qu’aucune image n’en est montrée, une grande perte pour qui voudrait comprendre l’importance de l’art de la scénographie). Heureusement Anne Alvaro obtient le Molière de la comédienne pour sa reine impressionnante dans Gertrude (le Cri) car le reste manque cruellement de prise de risque, les révélations étant des comédiens déjà bien expérimentés et les prix revenant principalement au spectacle conventionnel et dits « grand public » (c'est-à-dire, un peu de cynisme ne faisant pas de mal : âgé, petit bourgeois ou inculte). Sans tomber dans un élitisme abusif, les Line Renaud et autre Patrick Chesnais (Molière du Comédien pour Cochons d’Inde, également Molière de la pièce comique), dont on ne mettra pas en cause la qualité du travail, encombrent un paysage qui devrait être fait pour le théâtre plus actuel, plus frais, plus révolutionnaire et qui promet à l’expérience théâtrale un avenir autre que la re-diffusion télévisée ou que la reconversion de gens de cinéma qui s’ennuient.

Cette Nuit des Molière fait donc un état des lieux plutôt mitigé du théâtre français. Pourquoi a-t-on tellement peur que les gens ne supportent pas un théâtre qui les bouscule un tant soit peu dans leur confort ? Pas étonnant que le spectacle vivant ne séduise plus les foules et passe de mode si l’on ne fait pas de publicité intéressante ailleurs que sur France Culture ; triste constat.

Ana Kaschcett

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