Semaine de la Critique


Reprise de la Quinzaine des Réalisateurs au Forum des Images, de la 48ème Semaine de la Critique à la Cinémathèque française : Paris se fait cannois, palmiers et mer en moins. Public différent aussi, moins mélangé, parfois ayant pour moitié participé au film et s'en venant le découvrir. Depuis 1962 la Semaine de la Critique se consacre à la découverte de jeunes talents en sélectionnant des premiers ou deuxièmes films – la qualité épate (enfin bon, The Chaser était aussi un premier long-métrage), mais les projets sont nourris depuis parfois de longues années avant de voir le jour. Tout relativement cependant, puisqu'ensuite la distribution est souvent discrète, voire invisible, surtout pour ce qui est du court-métrage qui à chaque séance précède le long. Retour sur quelques projections.
Runaway (Train en folie) de Cordell Barker, court-métrage d'animation, montre au rythme endiablé d'une musique aux accents tziganes le destin d'un train propulsé à vitesse de plus en plus grande à travers un paysage de plus en plus hostile. Graphismes sympathiques et personnages expressifs qui n'ont pas besoin de leurs borborygmes peu distincts pour se faire comprendre. Tout commence à cause d'une vache qui en heurtant le train blesse son conducteur – d'où la folie qui l'entraîne. La plèbe de seconde classe vendra jusqu'au dernier caleçon aux richards en hauts de forme de première histoire d'alimenter le train... mais au final, et après des secondes angoissantes comme celles qui précèdent la plongée dans un grand huit, avoir tout dépensé pour monter jusqu'au sommet ne peut conduire qu'à redescendre, et un peu trop vite. Moralité : dans notre société de consommation à outrance, l'amour même ne sauve pas, et seules les vaches ont une chance de s'en sortir. Cherchez l'erreur.
Avec Logorama, du collectif H5 (François Alaux, Hervé de Crécy, Ludovic Houplain), c'est la publicité à outrance qui est mise à mal. Les réalisateurs s'y connaissent, bossant dans le milieu et réalisant pour la première fois un projet personnel, après s'être consacrés à des clips ou des publicités. Dans le monde où les policiers sont des Messieurs Bibendum, et le méchant terroriste le clown de MacDo, l'esthétique rappelle celle du monde virtuel des Sims, l'histoire celle d'un blockbuster américain cliché, et les répliques évoquent irrésistiblement Pulp Fiction. Reste à savoir si le héros (le sale gosse des bonbons Haribot) arrivera à échapper au séisme qui fait tomber une à une les lettres de « Hollywood ». D'un logo à l'autre, d'une marque à son emblème, de l'impression de déjà vue des situations (on remonte tout de même jusqu'au croquage de la pomme – sauf qu'évidemment c'est celle de MacIntosh) à une fin apocalyptique, on rigole plutôt – mais avec un peu de recul, jaune : notre perception du monde est-elle donc aussi conditionnée que l'impression de reconnaissance perpétuelle qui sature le court-métrage le suggère ? Oops, j'vais aller me faire hermite. Mais avec internet : le collectif H5 a un site, et autant leur faire de la pub.
En passant en prises de vue réelles, la tonalité change. Dans C'est gratuit pour les filles de Marie Amacoukeli et Claire Buger, Laetitia est sur le point de passer son BP coiffure, ce qui lui permettra d'ouvrir un salon de coiffure avec Yeliz, sa meilleure amie. Sauf que filmée en train de sucer son copain, Laetitia angoisse, on s'en doute, à l'idée de reparaître au CFA. Entre rires, larmes, déceptions et détermination, l'adolescence n'est pas présentée comme une période d'insouciant apprentissage – plane le spectre de la dure réalité à laquelle il faut disputer ses rêves, qu'il s'agisse d'un salon de coiffure ou d'une histoire d'amour idéale. La séquence de la fête, où garçons et filles se draguent via les conventions d'un jeu dont personne n'est dupe, située dans le no man's land d'un terrain vague quadrillé de bennes rouillées, fait bien augurer des suites que l'on espère à ce court-métrage.
Côté longs-métrages, la salle est comble pour accueillir le film de Nassim Amaouche, qui sortira en salles le 22 juillet. Adieu Gary raconte avec tendresse l'histoire des habitants d'une petite bourgade du sud de la France, vouée à la disparition par la fermeture de son usine. On entre dans ce lieu clos par le biais d'un jeune homme revenant dans sa famille à sa sortie de prison : microcosme à l'allure étrange de ville fantôme, à laquelle les fenêtres closes, les platanes alignés, la poussière soulevée par le vent, l'attente désoeuvrée, donnent des airs de western décalé. Tous les jeunes, représentants de la deuxième génération des imigrés maghrébins, ne rêvent que de fuir l'endroit et ses petits boulots merdiques (il faut porter des casquettes à oreilles de souris pour aligner des produits dans le supermarché), qui en « re »tournant au bled qu'il n'a jamais connu, qui en fuyant vers Paris. Celui qui a travaillé à l'usine (Jean-Pierre Bacri, dont les premières minutes d'interprétation augurent mal de la suite du film, mais ce n'est que passager) ne peut se résoudre à tirer un trait sur sa vie d'ouvrier syndiqué, et fait son deuil comme il peut. Celui dont le père s'est enfui se raccroche silencieusement à la contemplation de la rue vide et des vieux westerns de Gary Cooper auquel son père, paraît-il, ressemblait. Gary Cooper qui d'ailleurs fera une apparition remarquée et remarquable, à la lueur des éclairs et sur son cheval caracolant – mais il faut le voir pour le croire... La vie évolue au rythme des chaudes après-midi et de ses rituels (la livraison de drogue en fauteuil roulant), et chacun peu à peu parvient à se construire, à parler, à partager. A voir, vraiment.
Altiplano (Peter Brosens et Jessica Woodworth) est d'un tout autre registre. Dépressifs s'abstenir : l'histoire est dure, le message lourd de sens, l'esthétique pesante. Entre Belgique et Cordillère des Andes, la caméra incurve sa trajectoire selon une lente circularité qui se plaît à faire découvrir la douleur aux spectateurs. Une photographe choquée refuse de recevoir le prix Pullitzer pour la photo de son guide prise au sous la menace au moment même où il était assassiné : on comprendra avant que ce ne soit dit qu'appuzer sur le déclencheur revenait à appuyer sur la gachette. De l'autre côté de l'Atlantique, via le mari de la photographe parti y soigner la cataracte, une statue de la Vierge se brise, et des américains sans scrupule se débarassent du mercure dont ils ne savent que faire. Les destins se mêlent, une jeune fille sur le point de se marier y perd son fiancé, la santé des indiens décline, les docteurs européens sont tenus pour responsables. Pour les indiens la vidéos porte encore l'espoir de rendre visible la douleur et l'abherration – mais à quel prix exhorbitant. Des séquences oniriques (cauchemardesques, on choisira) et théâtrales ponctuent le film, martelant encore un message que l'histoire, les personnages, la lenteur, la caméra, rendait déjà trop écrasant. Si le point de vue du film et les messages véhiculés sont intéressants, on en voudra aux violons de provoquer un effet inverse à celui évidemment recherché : la distance cynique permet de tout supporter, mais rend surtout plus insensible.
L'émotion est bien plus nuancée dans Lost Persons Area de Caroline Strubbe. Le décor, d'emblée, est étrange et interpelle : un no man's land seulement traversé verticalement par les silhouettes squelettiques des pylônes de lignes haute tension. Au milieu vit un couple, l'homme chargé des travaux de construction des pylônes. Il y a une petite fille (Kimke Desart), silencieuse et perdue, dont le monde intérieur va devenir de plus en plus envahissant à mesure que ce qui l'entoure se dérègle : l'homme devant faire appel à un autre pour l'aider dans son travail, l'homme se blessant, la femme solitaire devenant infidèle ; tout cela par glissement successif au gré des quêtes d'objets hétéroclites de la petite fille. D'enfantin à mortifère, le jeu se complique et cherche l'harmonie géométrique en rempart contre la perte de repères et de confiance. La caméra portée tout au long du film – et c'est remarquable de fluidité et de beauté – finit par se mettre au niveau de la petite fille pour découvrir le monde, comme le faisait la caméra de Champetier dans Ponette de Doillon. Le film ne juge pas, pas plus que ne semble le faire le regard de l'enfant : il rend sensible, grâce à la performance de Kimke Desart (elle doit avoir 6 ou 7 ans...), à un univers étrange et inquiétant mais dont l'écho laisse étourdi – de peur, de question, de beauté.
Huacho d'Alejandro Fernandez Almendras s'intéresse aussi à une vie de famille, cette fois Chilienne, selon un principe systématique intéressant : on suivra successivement la journée de la grand-mère, de la mère, du fils et du grand-père, une fois que le petit-déjeuner aura été pris en commun. Chacun à de son côté des défis à relever et des concessions à faire (la grand-mère pour vendre son fromage, la mère pour payer la facture d'électricité, le fils pour renoncer de jouer à la PSP, le grand-père pour reconnaître son âge...), en cette journée identique à bien d'autres et qui pourrait faire penser à du documentaire – mais les acteurs non-professionnels jouent cependant des rôles écrits avec précision...
(La plupart de ces films connaîtront sans doute une diffusion très limitée (s'ils sortent seulement) : ouvrez l'oeil !)

Piera Simon

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