Rétrospective : L'Ange Exterminateur


"LA LIBERTÉ EST UN FANTÔME"


"L'Ange Exterminateur"

Réalisé par Luis Buñuel
Avec Sylvia Pinal, Enrique Rambal, Jaqueline Andere et Antonio Bravo




Le Champo et la Cinémathèque se sont associés pour projeter jusqu’à la fin du mois une rétrospective intégrale de l’œuvre de Buñuel. Puisqu’il fallait n’en choisir qu’un, j’ai jeté mon dévolu sur L’Ange exterminateur (1962), que l’on peut compter parmi les chefs-d’œuvre méconnus de sa période mexicaine. Le film, à sa sortie, avait déchaîné la critique. On voulait la clé, on voulait comprendre. Or c’est précisément cette « matière brute » qui était à même de renfermer un tel pouvoir de fascination…

De riches bourgeois, tout juste sortis de l’opéra, sont invités à une réception improvisée. Mais très vite l’ambiance de fête et de légèreté s’essouffle pour laisser place à un étrange constat : il est quatre heures du matin et nul n’a pris l’initiative, que la bienséance impose, de rentrer chez soi. Pire, de toute la soirée, aucun d’eux n’a quitté, ne serait-ce qu’une seconde, le living-room. L’encellulement inexpliqué se poursuit, et la lumière s’affaiblit à mesure que les individus perdent progressivement, dans cette épreuve, leur éclat physique et moral.

Dans ce singulier portrait d’une bourgeoisie étouffée par ses codes, on aperçoit une tension entre réalisme et surréalisme, soit les deux facettes d’un cinéaste qui n’hésita pas à faire le grand écart entre des films comme Un chien andalou - réalisé avec le plus surréaliste des surréalistes, Dali - et Le journal d’une femme de chambre, conte réaliste qui reprend la critique acerbe de la bourgeoisie amorcée par L’Ange exterminateur.

Buñuel interroge la frontière entre humanité et animalité en soumettant l’homme à ses bas instincts. Quant à sa dignité, elle ressurgit de façon intempestive (« Plutôt la mort que cette promiscuité abjecte », s’exprime un convive). La déchéance ne supporte alors aucune parade, elle est mise à nue par une bande son dramatiquement silencieuse, tandis que saleté, grossièreté et violence progressent de façon exponentielle. C’est l’occasion pour le cinéaste de tourner en dérision les inventions humaines censées élever, par diverses manières, l’homme : religion, franc-maçonnerie, mysticisme sont tour à tour les cibles de son humour noir caractériel.

On cherchera en vain une symbolique à ce mystérieux cauchemar. Buñuel l’a dit et répété, il n’y a rien à comprendre. Il n’exclut cependant pas une interprétation sociale, où l’enfermement surnaturel fait écho à l’enfermement réel d’une bourgeoisie qui se meut dans une tour d’ivoire. Mais le film semble irréductible à une telle interprétation, a fortiori lorsque le final se refuse à tout enclavement idéologique. Au spectateur de trancher.

Elise Le Corre



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